- 13 janvier 2016
- petiteglise
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Au poker comme dans la vie, quand nous devons choisir entre une nouveauté et le statu quo, nous avons tendance à refuser la nouveauté pour laisser le statu quo.
Biais du statu quo dans la vie de tous les jours
Dans une étude, les cobayes faisaient face à l'énoncé suivant : “Vous êtes passionné par la bourse mais avez toujours manqué d’argent pour investir. Vous héritez une grosse somme d’un de vos oncles. L’investissez-vous dans des placements à risques modérés, à hauts risques, des bons du Trésor ou des bons municipaux ? “
Ils étaient séparés en quatre groupes : à l’un on disait que l’argent se trouvait actuellement dans des placements à risques modérés, à l’autre dans des placements à hauts risques, etc. Les cobayes choisissaient majoritairement le statu quo, préférant laisser l’argent là où il était, dans les quatre cas.
Les Etats du New Jersey et de la Pennsylvanie ont mené involontairement une étude à grande échelle : lorsqu’ils ont obligé leurs citoyens à prendre une assurance automobile, le New Jersey proposait une assurance bon marché mais donnant peu de couverture et la Pennsylvanie une assurance plus chère et meilleure. Plus tard, lorsqu’il a été proposé de changer, ie aux habitants de Pennsylvanie de prendre une assurance comme celle du New Jersey, et réciproquement, les habitants des deux Etats préféraient majoritairement garder leur assurance.
Au quotidien on voit le statu quo dans la fidélité aux marques. Si vous achetez toujours les mêmes cigarettes ou le même café, ce n’est pas tant par réelle préférence que par un effet du biais du statu quo.
Enfin, le biais du statu quo explique notre sensibilité aux augmentations de prix. Rationnellement si vous avez par exemple envie d’un café, vous devriez vous demander si votre envie a plus ou moins de valeur que le prix du café. Dans les faits, si vous avez l’habitude de payer 2€ votre café et qu’il passe à 2€50, il est possible que vous ne vous demandiez pas “est-ce que mon envie de café vaut plus ou moins que 2€50 ?” mais que vous vous dites “mon café je le paie 2€ pas 2€50, j’en prends pas”.
Le biais du statu quo a été résumé en 18 secondes dans Astérix Mission Cléopatre par Belluci et Darmon.
Pourquoi le statu quo ?
Il y a sûrement des explications évolutionnistes au biais du statu quo. En effet, “il ne faut jamais courir deux lièvres à la fois”. Les premiers hommes qui changeaient constamment d’avis “bon je vais cueillir des fruits, non tiens je vais essayer de pêcher du poisson, oh et puis non je vais chasser du gibier” risquaient fort de mourir avant d’avoir pu transmettre leurs gênes. Choisir le statu quo leur permettait d’atteindre leur but et aussi de se spécialiser.
Encore maintenant, la consistance, dans le sens de stabilité, est perçue comme une qualité. On entend souvent des gens dire d’un politique du bord opposé au leur “je suis contre ses idées mais au moins il est consistent et j’apprécie ça”, comme si une personne toujours en désaccord avec nous valait mieux qu’une personne parfois en désaccord avec nous.
Une autre raison à ce biais est que, confronté à un choix difficile, on a tendance à prendre l’option par défaut. L'histoire de la redevance télé illustre bien ce phénomène. Entre déclarer posséder une télévision et payer plus cher car c’est honnête ou frauder sans réel risque pour payer moins cher, le choix est compliqué. Durant des années, sur les fiches d’imposition, le choix par défaut était de déclarer ne pas posséder de télé. Autrement dit si vous ne remplissiez rien, vous ne payiez rien et il fallait cocher une case pour déclarer posséder une télé et payer la redevance. En 2005, le gouvernement a changé ses fiches d’imposition et le choix par défaut est dorénavant de déclarer posséder une télé. Maintenant, c’est pour déclarer ne pas en posséder qu’il faut cocher une case. Par ce simple changement du choix par défaut, les fraudes sont directement passées d’environ 2 millions par an à 250 000. C’est à dire : 1 750 000 foyers sont devenus “honnêtes” parce qu’on leur demandait de ne pas cocher de case au lieu d'en cocher une.
Le statu quo est un cas particulier du choix par défaut.
Prenons l’exemple du fumeur qui arrive au bureau de tabac. S’il devait effectuer un choix rationnel, il devrait considérer le goût de toutes les cigarettes proposées, leur taux de nicotine et de goudron, leur prix, se demander s’il veut un paquet de 20, 25 ou 30, des 100’s ou pas… Bref ça lui demanderait des heures et bien des lignes de tableur pour effectuer ce choix rationnellement. Du coup, il opte pour le choix par défaut, en l’occurrence le statu quo et choisit sa marque habituelle.
Le biais du statu quo peut donc amener à des mauvais choix, mais permet d’économiser son temps et son énergie mentale.
Une dernière explication au biais du statu quo est que l’on accorde plus de valeur à nos choix et à nos idées. C’est le fameux conseil d’influence : pour que quelqu’un soit convaincu par votre idée, faites lui croire qu’elle vient de lui.
Le biais du statu quo au poker
Comme beaucoup de biais fréquents dans la vie de tous les jours, celui du statu quo s’immisce parfois au poker.
Fidélité
Un joueur reste souvent fidèle à sa plateforme, à sa variante, à sa limite, à ses tournois et pour les livetards à sa salle de jeu et ses destinations favorites. Et c’est globalement positif : on se spécialise dans sa variante, on a monté sa bankroll sur une room et en changer demande des démarches, on joue à la limite qui nous est le plus Ev+, etc.
Mais de temps en temps, ces choix par défauts peuvent ne pas être optimaux : il y a une table super fishy dans la limite supérieure, une room concurrente propose une offre ou une race exceptionnelle, des énormes fishs organisent une soirée poker dans une variante qui n’est pas la vôtre… et vous loupez ces opportunités car vous refusez de dévier de vos habitudes.
“Je préfère continuer à jouer comme je fais.”
Si vous donnez régulièrement des conseils à des débutants, vous avez déjà dû vous énerver d’en voir un ne pas les suivre, voire pire, vous répondre “je comprends ce que tu me dis, mais je préfère continuer à jouer comme je fais”. En combat de blinds il ouvre 100% de ses sb, vous lui expliquez que c’est pas top car il sera oop toute la main, et il continue à open 100% de ses sb...
Le biais du statu quo est un frein à la progression et une menace à la sérénité des pédagogues.
Augmentation des blinds
Durant un niveau de blinds des habitudes se mettent en place et au moment de l’augmentation on peut être victime du biais du statu quo. Ca peut demander du temps pour comprendre que notre M a changé, et qu’il faut adapter notre stratégie.
Un autre symptôme est la perception des mises : au 1er niveau d’un tournoi 20 000 jetons blinds 50/100, on s’habitue à voir des 3x à 300. Niveau suivant les blinds passent à 100/200 et le 3x à 600. Entre 200 bb deep et 100 bb deep il n’y a pas de vrai changement de stratégie, surtout pour un débutant. Mais un débutant qui s’est habitué aux relances à 300 et qui voit tout à un coup une relance à 600 peut se dire non pas “ça reste 3x” mais “houla c’est cher, j’y vais pas”. Sur les petites limites, la main qui suit l’augmentation de blinds est donc souvent une bonne occasion de steal.
Conclusion
Stephen Hawking a dit que "l'intelligence est la capacité d'adaptation au changement". Bien qu'il n'ait pas que des défauts, je pense en particulier à l'économie d'énergie mentale, le biais du statu peut en ce sens être parfois perçu comme un manque d'intelligence. Il faut donc savoir quand s'y fier et quand l'éviter, IRL et au poker.