“Sit and Go strategy de Collin Moshman”

“Sit and Go strategy de Collin Moshman”

Une des formes les plus populaires du poker sur internet est certainement le Sit and Go. A la différence d’un tournoi régulier qui commence à heure fixe et peut durer des heures, comme son nom l’indique, un Sit and Go démarre dès que le nombre de joueur requis est atteint. A noter que beaucoup des stars actuelles du poker se sont forgés un nom, une expérience et ont construit un bank roll en jouant ce type de tournois ultra rapides. Aujourd’hui, on en trouve de toutes les tailles, de 2 à 180 joueurs. Mais les plus répandus restent les Sit and Go à 9 et 10 joueurs ; une formule qui justement fait l’objet du livre de Moshman.

Organisation du livre

Analyse Livres de PokerCes dernières années, la théorie du jeu de poker s’est essentiellement structurée autour des forums Internet de poker. Tous les jours, des milliers de posts sont écrits aussi bien par des novices que par les plus brillants analystes et joueurs professionnels. De ce magma, Collin Moshman a réussi à isoler les concepts des Sit and Go et à les présenter de manière simple, avec un découpage structuré en quatre parties. Quelque soit la valeur des livres qui pourront être écrits à l’avenir, force est de reconnaitre à l’auteur de « Sit and Go strategy » tout le mérite de son travail de pionnier.

Pour l’organisation de son ouvrage, Collin Moshman s’est inspiré de celle imaginée par Dan Harrington et Bill Robertie et qui a fait de « Harrington on Hold’em » le best seller du poker. A savoir, une partie théorique suivie d’exemples pédagogiques afin de bien faire assimiler les concepts et de permettre de les appliquer. Les exemples qui sont nombreux et bien construits seront d’une grande aide à tous ceux qui veulent apprendre comment jouer en Sit and Go. Le livre se découpe en quatre parties que nous allons maintenant analyser une par une.

Première partie « Low Blind Play »: le jeu quand les blindes sont faiblement élevées

Un vieil adage du poker dit « dans les premiers niveaux de blindes, un tournoi ne se gagne pas mais peut facilement se perdre ». Il s’applique parfaitement aux Sit and Go. Certains joueurs pratiquent un jeu trop large et dilapident rapidement leur tapis. D’autres ne savent pas comment juger des mains moyennes comme paire de valets face à une forte opposition. D’autres encore engagent un tiers de leur tapis avec As Roi et sont perdus quand ils ratent le flop. L’auteur classe les mains de départ en trois catégories : Les mains premium : paire de dix et mieux, as valet, as roi et as dame. Les mains spéculatives : les paires, les consécutives assorties et les as assortis. Les mains moyennes pour voler les blindes en dernier de parole.

Au poker, il est impossible d’affirmer : « fontaine, jamais je ne boirai de ton eau », contre un joueur kamikaze qui a ouvert à tapis les cinq premières mains du tournoi, alors dans ce cas paire de dix peut devenir un monstre. En revanche, contre un pro de Sit and Go qui répond à votre 3bet en faisant tapis, la solution la plus avisée serait de jeter paire de dames. C’est bien la raison pour laquelle, il est impossible de faire une classification des mains : la main de départ n’est qu’un des multiples paramètres de décision. Mais l’auteur l’a bien compris et relativise cette catégorisation au travers de ses nombreux exemples. Alors, fort de ce principe, si le lecteur s’attache à davantage à comprendre les exemples du livre plus qu’à appliquer la classification à la lettre, il améliorera son jeu de début de tournoi.  

Seconde partie « Mid blind play »: le jeu quand les blindes sont moyennes

Certains joueurs savent qu’il faut pratiquer un jeu serré en début de tournoi, mais ils passent à côté de beaucoup d’opportunités pour monter un tapis alors même que les blindes prennent une taille non négligeable. A l’inverse, d’autres réagissent trop tôt et engagent leur tapis pour quinze ou vingt blindes avec une main moyenne, comme paire de six. Quand on joue avec peu de profondeur et post flop, le jeu est particulièrement délicat. Avec quinze blindes, on peut difficilement se payer le luxe de relancer avec as dame. Pas plus qu’on ne peut se permettre de faire une mise de continuation pour ensuite devoir abandonner le coup en perdant un tiers ou la moitié de ses jetons. Par ailleurs, dans ce cas de figure il y a aussi trop de profondeur pour ouvrir en relançant à tapis. Pour être payé, il faut alors être battu.

Collin Moshman qui traite brillamment de cette phase de jeu, reprend sa classification du premier chapitre et fourni de multiples exemples pour apprendre à mieux jouer différentes mains. Il aborde également dans cette partie la technique de squeeze pour faire face efficacement à une tentative de vol de blindes ou pour punir des joueurs passifs qui complètent la grosse blinde au lieu de relancer. En fin du chapitre, l’auteur explique la théorie de l’ICM - Independent chip model -, une théorie cruciale en tournoi, en général et dans les Sit and Go, en particulier. Sans entrer dans les détails, l’ICM permet d’analyser mathématiquement les décisions que l’on prend en tournoi. Cette théorie aurait à mon sens méritée davantage de développement ; et les quatre exemples qui suivent ne sont pas caractéristiques de la théorie de l’ICM ce qui les rend également décevants.  

Troisième partie « High Blind Play »: le jeu quand les blindes sont élevées

C’est la phase la plus technique des Sit and Go et c’est celle qui sépare les gagnants des perdants. Le chapitre commence bien, en présentant un concept essentiel que beaucoup de joueurs ont tendance à sous estimer : comment garder un tapis assez gros pour pouvoir voler les blindes. Mais le chapitre se délite un peu par la suite car l’auteur égrène pèle mêle, des concepts théoriques, des phases de jeux, des techniques et des moves un peu anecdotiques. Sans donner au lecteur aucune hiérarchisation de ce qui relève de l’important et de ce qui est de l’accessoire. Au rayon des concepts, la bulle. La bulle est le moment où quatre joueurs se trouvent en présence pour seulement trois places payées.

A noter que le fossé dans l’écart des prix entre le troisième qui rentre dans l’argent et le quatrième qui repars bredouille entraine forcément une distorsion importante dans la pratique du jeu. Pour résumer, si deux joueurs s’attaquent, cela se fera nécessairement à leurs dépends et au profit des autres joueurs. Collin Moshman explique avec brio ce concept en reprenant un exemple tiré d’ « Harrington on Hold’em », où, se sachant favori, il est correct de jeter paire de dames pre-flop. En revanche, dans les autres exemples qui suivent pour illustrer la phase de jeu dans la bulle, l’auteur s’attache uniquement à convaincre les joueurs de sortir de leur coquille à l’arrivée de la bulle. Et de ne pas rester paralysés par l’enjeu pour au contraire demeurer le plus actif et agressif possible. C’est louable et corrige un défaut de beaucoup de débutants en SNG. Mais il ne faut pas non plus tomber dans le travers inverse. Savoir quand faire preuve d’agressivité et quand faire preuve de modération est tout l’art des fins de tournois. Pour ce qui est du jeu dans la bulle, l’auteur y revient à deux reprises: D’abord avec la collusion implicite.

C’est-à-dire le fait de ne pas miser au flop afin d’éliminer un petit tapis et mettre fin à la bulle. C’est une technique importante mais pour laquelle il existe des exceptions que l’auteur n’évoque pas. Le poker étant un jeu individuel et non pas collectif, contrairement au postulat du livre, un joueur peut donc avoir intérêt à ne pas mettre fin à la bulle. C’est principalement le cas, quand il est chip leader avec beaucoup d’avance sur le second et le troisième et qu’il peut exploiter cette phase pour gagner des jetons au détriment des tapis intermédiaires. Ensuite en présentant la stratégie de quatre tapis durant la bulle. Un immense chip leader, un tapis moyen, un petit tapis et un tapis microscopique. Là, l’auteur insiste de nouveau sur la nécessité de rester agressif avec les tapis intermédiaires. Mais l’exemple est une nouvelle fois trop poussé car la présence d’un micro-stack impose aux tapis moyens de rester prudents.

Concernant la phase du jeu où la bulle a cette fois explosé, le jeu à trois et le jeu en tête à tête auraient mérité un développement théorique plus poussé que les quelques lignes qui leur sont respectivement consacrés. Ce n’est pas l’auteur qui me contredira puisqu’il vient de publier un livre sur le heads up de près de 400 pages. En revanche, les exemples produits, eux, sont bons. Je tire également mon chapeau à Collin Moshman, qui a bien su détailler deux techniques importantes : le stop and go et comment jouer avec un micro tapis. Une autre technique en Sit and Go consiste à relancer à tapis sans y impliquer tous ses jetons ; par exemple, en misant 1 200 avec un tapis de 1 300. L’auteur semble ne pas s’être intéressé à toute la subtilité de cette parade, puisqu’elle se résume pour lui à une simple arme psychologique.

Ce coup est surtout utile afin de se garder la possibilité de jeter sa main si une cascade de joueurs part à tapis et pouvoir ainsi terminer dans l’argent. Pour illustrer cette technique, voici un exemple que j’ai joué récemment : Blindes : 200/400 Ante 25 Après avoir posté blindes et antes : Moi 1 325 [Kc]  [8c] Bouton 3 575 Petite blinde 3 200 Grosse blinde 4 600 Je suis le plus petit tapis, et je dois prendre des risques pour rentrer dans l’argent. Si je jette,après le passage des blindes, mon tapis sera trop petit pour voler les blindes. Je relance à 1 200, je suis engagé dans le coup et si un joueur fait tapis je le paye. Mais le bouton fais tapis, et la grosse blinde fait instantanément tapis. Les deux joueurs sont sérieux, et la grosse blinde joue son tournoi sans hésiter. Je sais que je suis face à deux grosses mains. Je tente alors ma chance de rentrer dans l’argent et je jette malgré la cote : 125 pour gagner 4 400 ! Bouton retourne [Ac] [Qc] et grosse blinde paire d’as…. Je me congratule mais As dame fait couleur et malgré tout je ne rentre pas dans l’argent ! Pour ce qui est d’ajuster son jeu à l’apparition des Antes, l’auteur s’appuie sur la mesure du M (définie par Harrington) et donne une conversion approximative entre les M et le calcul en blindes.

Mais Collin Moshman botte un peu en touche car il affirme que les Antes ne concernent que les tournois multi - tables. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui où la majorité des sites incluent des Antes y compris dans les tournois une table. Pour ceux qui désirent appliquer les principes de l’auteur avec les blindes mais sans utiliser le M, ils peuvent se servir de cette formule : diviser le total des Antes par trois et répartir 2/3 à la grosse blinde et 1/3 à la petite blinde. Par exemple, avec un tapis de 1 420 et 6 joueurs restant, vous êtes en premier de parole avec Roi dix dépareillé. Blindes 100, 200 Antes 25 Vous avez un peu plus de 7 blindes, mais combien avez-vous de blindes effectives ? Quel doit être votre plan de jeu ? Sommes des Antes : 25×6=300. Soit 100, pour un tiers à rajouter à la petite blinde et 200, pour deux tiers à rajouter à la grosse blinde. Blindes effectives : 200, 400 Vous avez trois blindes effectives et demie. Vous êtes en grand danger. Vous devez faire tapis. Sans la présence des Antes, le jeu correct est de jeter cette main, trop faible face à cinq joueurs.  

Quatrième partie « Career play » : faire carrière dans le jeu

Le chapitre commence avec une comparaison, un peu sommaire à mon gout, du jeu en Sit and go avec les tournois multi-tables et le jeu en cash game. Suivent ensuite une série de précieux conseils pour améliorer ses profits. Collin Moshman y insiste entre autre sur l’utilisation de trackers et la lecture des joueurs. Les mises en garde de l’auteur concernant les dangers de jouer sur trop de tables à la fois sur internet sont, à mon sens, très judicieux. Tout comme la technique qu’il indique pour apprendre à jouer progressivement sur plusieurs tables.

Je pense que beaucoup de joueurs prendraient plus de plaisir et auraient de meilleurs résultats en réduisant leur nombre de tables. Le livre se conclut et se résume dans la psychologie du jeu en Sit and Go. L’auteur s’attache à résumer non seulement les principes mais aussi la théorie générale du jeu : être prudent quand les blindes sont faibles et agressif quand elles augmentent.

« Sit and Go strategy » se termine enfin sur une série d’appendices. A coté des tables de probabilités que l’on retrouve dans tous les livres de poker, l’auteur inclut une table des mains avec lesquelles faire tapis en fonction de la profondeur de son tapis et de sa position. Cette table n’est pas la bible. Fort heureusement, le jeu en Sit and Go est trop complexe pour automatiser ainsi son jeu.

Faute de quoi, seuls des robots seraient certains de décrocher la timbale. Avant de décider de faire tapis, il faut prendre en compte d’autres paramètres comme le profil des adversaires derrière soit, les caractéristiques de la bulle ou encore l’image qui est la sienne à la table… Cependant, cette table « d’école » proposée par Collin Moshman a le mérite de donner une base solide, pour le jeu avec un petit tapis. Donc, ce livre, deux ans après sa publication reste bien l’ouvrage de référence sur les tournois une table et un outil précieux pour ceux qui veulent s’initier aux Sit and Go, pour peu que l’anglais ne les rebute pas.

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