- 21 novembre 2007
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Le poker est avant tout un jeu de probabilité. Pour le joueur de poker limite, être capable d’effectuer des calculs de cote (‘odds’ pour nos amis anglais), est essentiel. Heureusement, les calculs nécessaires au joueur expérimenté sont en général très accessibles, et des connaissances de base en probabilités sont largement suffisantes.
L’objet de cet article est de revoir les concepts de probabilités utiles au joueur de poker, et d’illustrer comment appliquer ces méthodes en pratique.
Note : les définitions données ci-dessous ne satisferont pas forcément le mathématicien pur et dur, car elles sont, par soucis de simplicité, orientées vers le monde du jeu.
I. Le concept d’espérance mathématique.
Définition : en probabilité, l’espérance d’une variable aléatoire est la somme des probabilités des événements multipliés par la valeur de l’événement.
Exemple : vous jouez à pile ou face. Pile vous perdez un euro, et face vous gagnez deux euros. La pièce est équilibre, et les événements pile et face ont chacun une probabilité de ½.
Votre espérance est donc E = ½ * (+2) + ½ * (-1) = + ½.
Comme indique dans la définition, nous multiplions la valeur de l’événement (+2 pour face, et -1 pour pile), par leur probabilité d’occurrence, et sommons.
Nous avons obtenu une espérance positive, ce qui est, nous le verrons bientôt, une bonne nouvelle (plus qu’une bonne nouvelle, c’est une philosophie pour le joueur expert !). Cela signifie qu’en moyenne, faire le pari ci-dessous est profitable, et rapporte ½ euro.
Attention, cela ne signifie pas que vous allez toujours gagner ½ euro, mais simplement que si vous répétez ce pari un très grand nombre de fois, vous pouvez vous attendre à avoir gagné ½ euro par pari.
Exercice :
1. Un ami vous propose le pari suivant : vous tirez la première carte d’un jeu de 52 cartes. Si cette carte est un pique, vous ami vous donne 4 euros. Sinon, vous payez un euro. Acceptez vous ce pari ?
2. Le même ami vous propose toujours de tirer la première carte du paquet. Si vous tirez un roi, il vous paye 11 euros, et si vous tirez toute autre carte, vous payez un euro. Acceptez vous ce pari ?
Dans les réponses ci-dessous, nous assumons que le jeu n'est pas truque. En pratique, essayez de vous assurer de ce détail avant d’accepter un pari ! Par ailleurs, nous assumons également que notre décision n’est basée que sur le signe de notre espérance : si notre espérance est positive, le pari est profitable en moyenne, et nous acceptons. Dans la réalité, il faut prendre en compte la volatilité du résultat, ainsi que votre aversion au risque. Ces concepts sont relativement complexes, et ne sont pas abordés dans cette article.
Réponse :
1.Il a y 13 piques dans ce jeu de 52 cartes. Vous avez donc 13 chances sur 52, soit une chance sur 4, de tirer un pique. Il en découle que vous avez 3 chances sur 4 de ne pas tirer un pique.
Votre espérance est donc E = ¼ * (+4) + ¾ * (-1) = + ¼.. Ce nombre est positif, et vous acceptez le pari.
2. Il y a 4 rois dans le paquet. Vous donc une chance sur 13 de tirer un roi, et 12 chances sur 13 de rater. Votre espérance est donc de (1/13)*(+11) + (12/13)*(-1) = -1/13.
En moyenne, ce pari perd un treizième d’Euro, et vous refusez.
II. La cote
La lecture d’ouvrages de poker révèle que les américains utilisent une autre méthode pour juger de la profitabilité d’un pari : la méthode de la cote.
Reprenons l’exemple de pile ou face. Pour mémoire, votre adversaire vous payait 2 pour face, et recevait 1 pour pile. On dit que votre adversaire vous donne une cote (car vous pouvez gagner plus que vous ne pouvez perdre). Dans le cas présent, votre adversaire vous donne 2 contre 1.
Bien sur, cette seule information ne suffit pas à juger de la profitabilité du pari. Vous devez aussi estimer la ‘juste cote’. Dans le cas présent, les chances de gagner sont égales, et la cote juste est donc de 1 contre 1 (ce qui signifie que les probabilités sont de 50% pour les événements). Dans l’exemple ou vous deviez tirer un pique pour gagner. La cote juste était de 3 contre 1 (car pour trois cartes perdantes, vous aurez une carte gagnante). Vous pouvez ici notre qu’avoir une chance sur 4 est équivalent a avoir une cote juste de 3-contre-1. De façon générale, avoir une chance sur N est équivalent à voir une juste cote de (N-1) contre 1.
En revenant à l’exemple de pile ou face, vous vous apercevez que la cote juste est de 1-contre-1, et que votre adversaire vous donne une cote de 2-pour-1. Il est donc avantageux pour vous d’accepter le pari.
De façon générale, lorsque la cote qui vous est offerte est supérieure à la juste cote, accepter la pari est profitable.
III. Application au poker limite
Après cette longue lecture (et deux aspirines), nous commençons enfin a parler de poker !
Les concepts revus plus haut sont en effet directement applicables a un certain nombre de décision en poker limite.
a. L’importance de la taille du pot en poker limite
Vous avez en main A♣K♠, et a la quatrième, le flop est 2♦2♣3♠T♥. Votre adversaire a misé pendant tout le coup, et a la quatrième, mise ses 20 derniers euros, a tapis. Après sa mise, il y a 100 euros dans le pot, et vous devez payer 20 euros pour suivre. Pour vous décourager, votre adversaire vous montre sa main : il a J♦T♣. Devez vous payer ?
La première observation est que le pot est de 100 euros, et que pour gagner ces 100 euros, il vous faut risquer 20 euros. Vous recevez donc une cote de 100 pour 20, soit 5 contre 1.
Il vous faut ensuite calculer la juste cote. Sur le paquet de 52 cartes, vous connaissez déjà 8 cartes : le flop, vos cartes, et celles de votre adversaire. Sur les 44 cartes restantes, 6 cartes vous font gagner : les 3 rois et les 3 as restants. Les 38 autres cartes sont perdantes. La juste cote est donc de 38-pour-6, soit de 6.33-contre-1.
Vous voyez que la juste cote est supérieure a la cote que vous offre le pot. Il faut donc passer.
Vous remarquez aussi que si le pot était de 300 euros au lieu de 100, payer aurait été extrêmement profitable. C’est donc la taille du pot qui dicte votre décision !
Ce concept vraiment fondamental est pourtant ignoré par de nombreux joueurs de limite. Ne continuez pas cet article tant que cette idée n’est pas claire pour vous.
b. Cote immédiate et cote implicite
Dans l’exemple ci-dessus, la situation était très simple, car votre adversaire était à tapis. La seule cote a prendre en compte était la cote immédiate, ou cote du pot (‘pot odds’). En pratique, pour des décisions limites, il vous faut prendre en compte la possibilité de gagner plus d’argent dans la suite du coup.
Exemple : Vous avez 4♦5♦, et a la quatrième, les cartes communes sont 2♦3♣9♠K♥. Vous êtes de gros blind, et le petit blind a mise tout le coup. Il y a 70 euros dans le pot, et le petit blind mise 20 euros, la limite à la quatrième et la cinquième.
Votre cote immédiate est de 90-pour-20, soit 4.5-pour-1. En effet, après la mise du petit blind, il y a 90 euros dans le pot, et vous risquez 20 euros en payant.
Vous estimez que votre adversaire a une paire de roi. 8 cartes dans le paquet vous donne une suite, et en comptant le roi dans la main de votre adversaire, vous connaissez 7 cartes sur 52. Il reste donc 37 cartes perdantes contre 8 gagnantes, et la cote juste est 37-pour-8, soit 4.625-pour-1.
Cela semble indiquer qu’il faut passer. Pourtant, vous connaissez votre adversaire, et savez qu’il ne passera pas une paire de roi a la cinquième pour une mise. Vous savez donc que vous gagnerez probablement 20 euros de plus quand vous touchez votre suite, sans risquer plus d’argent. En fait, vous pouvez ‘virtuellement’ considérer que le pot est 110 euros et non pas de 90 (en ajoutant les 20 euros de bénéfice a la cinquième).
Ce calcul nous donne une nouvelle cote, la cote implicite. Ici, elle est de 110-pour-20, soit 5.5-contre-1. En comparant cette cote implicite a la cote juste de 4.625-contre-1, vous vous apercevez qu’il est probablement correct de payer.
Pour résumer, la cote implicite est simplement la cote immédiate, plus le potentiel de gain dans la suite du coup.
IV. Une main analysée
Vous jouez une partie a 6, la limite est 10 euros - 20 euros.
Preflop : vous avez K♣J♣ dans le gros blind.
Le premier joueur relance, 3 joueurs passent, le petit blind paye, et vous payez.
La décision de payer est normale. Il a y 50 euros dans le pot, et devez payer 10, recevant donc une excellente cote de 5-pour-1.
Flop : A♣9♣2♥ (3 joueurs, 6 petites mises).
Le SB checke, vous checkez, le joueur en attaque mise, le petit blind paye et vous payez.
La encore, vous jouez le coup de façon standard. Vous checkez, laissant la parole a l’attaquant. Il mise et le petit blind paye. A ce moment la, il y a 8 petites mises dans le pot, et payer vous coûte une mise. Votre cote immédiate est de 8-pour-1. Sur les 47 cartes restantes, 9 trèfles vous donnent une main gagnante (nous ignorons le cas rare ou vous faites couleur mais tombez contre un full). La cote juste est donc de 38-pour-9, soit 4.22-pour-1. Sans même prendre en compte la cote implicite, il est évident qu’il faut payer.
Flop : A♣9♣2♥4♠ (3 joueurs, 4.5 grosses mises).
Le petit blind check, vous checkez, l’attaquant mise, le petit blind relance. Vous passez.
Après la relance du petit blind, il y a 7.5 grosses mises dans le pot, et payer vous coûte 2 grosses mises. Votre cote immédiate est donc de 7.5-pour-2, soit 3.75-pour-1. Vous pouvez toujours compter sur 9 cartes pour gagner le coup, sur 46 cartes restantes. La cote juste est de 4.11-contre-1, indiquant de passer.
En considérant la cote implicite, la solution est moins claire. En effet, le pot devient important, et il est probable que le petit blind vous paye à la cinquième si vous faites couleur. Il est même possible qu’il mise encore, et que vous arriviez à la relancer, gagnant deux grosses mises supplémentaires. Enfin, il est possible que l’attaquant initial paye.
En moyenne, vous estimez pouvoir gagner 1.5 grosses mises supplémentaires si vous tirez votre couleur. La cote implicite est donc 9-pour-2, soit 4.5-pour-1. Il semble maintenant que payer est correct.
Pour ajouter a la complexité du coup, il y a un risque pour que l’attaquant initial relance de nouveau. Vous auriez alors à investir un total de trois grosses mises ou plus pour tenter la couleur, dégradant votre cote un peu plus …
Question: expliquez pourquoi une relance dégrade votre situation ?
Conclusion :
Dans cette main, nous avons utilisé des calculs de cote par trois fois. Avant le flop, nous pouvions payer sans trop de problèmes. Recevant une cote attrayante avec une main intéressante.
Au flop, la décision était encore plus évidente. Nous recevions une cote bien supérieure a la cote juste, et cela sans même prendre ne compte les profit potentiels réalisables à la quatrième et la cinquième.
A la quatrième, la situation est complexe. Le calcul de cote immédiate indique de passer, alors que le calcul de cote implicite indique de payer. Pourtant, il existe un risque d’être relancé une fois de plus. Je baserai ma décision sur le type de joueur que j’affronte. Si l’attaquant initial est très agressif, le risque de le voir me relancer m’inciterait à passer. Contre un joueur plus passif, payer est probablement correct.
Cette exemple est assez complexe, mais illustre comment les calculs de cote peuvent, et doivent vous assister dans votre prise de décision.