- 16 octobre 2021
- Freudinou
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Ce n’est pas pour rien que la carte de la turn a été ainsi nommée. Dans bien des coups, surtout si de l’argent a été investi au flop, il s’agira d’un tournant. Le pot grossit et il est souvent probable qu’on s’embarque vers une décision importante à la river, d’où l’importance de bien négocier cette street.
Le deuxième barrel au poker : Quand et comment l'effectuer ?
J’assiste souvent sur les tables a des stratégies caricaturales destinées à refuser le défi de cette turn : soit le joueur fait preuve d’une passivité extrême en ne gardant que ses gros jeux, soit il fait montre d’une grande agressivité, en misant quasi systématiquement, espérant résoudre la complexité du coup.
Bien entendu, il ne fait que créer un problème bien plus grand à la river dans la plupart des cas. Je vais vous donner des éléments concrets pour négocier correctement votre stratégie lorsque vous avez effectué un continuation bet au flop qui a été payé par un joueur. Il va de soi que cela vous donnera également des indications en tant que défenseur.
Je vais vous présenter un protocole qui vous donnera je l’espère certains repères.
ETAPE 1 – IDENTIFIER LA CARTE DE LA TURN
Voici votre mission : forcez-vous à nommer la carte qui vient de tomber, donnez lui un petit nom. N’essayez pas de m’avoir, me dire « et bien c’est un 8 de cœur ! » ne marche pas. Il faut identifier ce que cette carte change (ou pas) pour les deux joueurs. Il y a trois types de cartes :
La scare card
C’est une carte qui est censée faire peur à l’adversaire. Elle déprécie la force de sa range. Prenons un exemple. Sur un flop , si un As tombe à la turn, une top paire au 9 devient une seconde paire, une paire comme 88 devient une troisième paire, etc. De plus, quand vous avez misé au flop, vous pouviez bien entendu avoir déjà une main forte comme A9, 44 ou KK mais en plus avec cet As, des bluffs comme AK/AQ viennent de toucher ou des mains comme A4 viennent de s’améliorer. Votre adversaire va commencer à vous voir avec un bon jeu.
La conséquence est que sur une scare card, l’adversaire aura tendance à folder.
La brique
La brique est une carte qui ne change rien ou quasiment rien à la situation précédente. Reprenons le flop , si des cartes comme , , …tombent, l’adversaire qui avait top paire a toujours top paire, s’il a payé avec des overcards, elles n’ont pas amélioré mais vous non plus dans son esprit, quelques secondes paires peuvent devenir troisièmes paires mais il faut avoir en tête qu’une carte comme un va moins impressionner une main comme 77 qu’une carte comme un K.
La conséquence est que sur une brique, l’adversaire aura tendance à payer.
A ce stade, il faut prêter attention à ne pas faire une confusion. J’affirme que cette carte ne change rien. En réalité, disons qu’elle ne change rien dans l’esprit de votre adversaire, en tout cas si on parle d’un adversaire moyennement compétent. En effet, au flop, vous pouvez avoir fait un continuation bet avec une range large. C’est logique, vous profitez de votre initiative avec vos bluffs et vous misez vos bonnes mains. Il y à ce moment sûrement un peu trop de bluffs dans votre range par rapport à ce que la théorie suggère. Pour faire court : vous pouvez ne rien avoir ou presque. Ce n’est pas le cas de votre adversaire.
Même s’il vous soupçonne d’être en bluff, il ne va pas vous payer avec rien. Ainsi, au flop, n’importe lequel des deux joueurs peut avoir le range advantage (la meilleure équité avec sa range). A la turn, comme vous avez été payé par une range plus restreinte au flop que la vôtre, c’est souvent votre opposant qui aura la meilleure range sur une brique. C’est un élément important à prendre en compte si vous jouez face à un joueur régulier compétent. Cela signifie que de base, vous n’aurez pas intérêt à miser avec beaucoup de mains à la turn puisque si vous faites cela, vous investirez de l’argent avec une grosse partie de votre range…qui sera le plus souvent battue…
Un dernier conseil : j’observe souvent des joueurs de micro-limites miser automatiquement sur la scare card. Or, quand vous avez un bon jeu, ce n’est pas une si bonne nouvelle de voir une carte apparaître qui pourrait bloquer l’action. Par exemple si vous avez un brelan, vous ne souhaitez pas voir une scare card. Vous pouvez parfois réfléchir à un éventuel check ou à baisser votre sizing afin de conserver l’action avec des bonnes mains qui ne sont pas des nuts absolues. Ceci étant, il faudra aussi avoir conscience que si vous comptez miser les scare cards en bluff, vous devrez aussi montrer à votre adversaire que vous le faites parfois en value. Comme souvent, aucune règle absolue, juste des éléments que je vous présente et que vous aurez à charge de gérer.
La bad card
Comme son nom l’indique, c’est la carte que vous ne souhaitez pas voir…Elle arrange clairement la range adverse.
Sur une bad card, l’adversaire aura tendance à payer ou relancer.
Sur notre flop précédent, il n’y a pas de bad card naturelle. Néanmoins, un 5 peut tout de même être considéré comme une bad card, car il fait rentrer A3 ainsi que 54 et évidemment 55. Mais rien de catastrophique à l’horizon.
Prenons plutôt un flop comme . Vous avez ouvert en small blind avec et la BB vous a payé. Vous effectuez un continuation bet à hauteur du pot afin de maximiser votre value sur les bonnes paires adverses et les tirages. On peut déjà réfléchir à l’intérêt de miser mais là n’est pas le sujet. L’adversaire vous paye et la turn est un . C’est une catastrophe, cette carte fait rentrer des quintes et arrange clairement la range en face. Pire, de nombreuses mains que vous battez encore ne voudront pas payer, ayant elles-mêmes peur de ce . C’est le cas de , , voire AQ…Vous ne pouvez plus miser en value et soyons honnêtes, sur un check de votre part, la BB fait ce qu’elle veut…
ETAPE 2 – SITUER VOTRE MAIN
Avant de décider de votre action, vous devez situer la force de votre main et son potentiel face à la range adverse. N’oubliez pas de vous poser les bonnes questions :
- Nous voulons miser en value nos mains fortes pour gagner de l’argent sur les mains adverses plus faibles
- Nous voulons miser en bluff nos mains faibles pour faire folder des mains adverses plus fortes.
Il faut donc évaluer le rôle que pourrait avoir votre main face à la range adverse. Est-elle une candidate pour value ? Est-elle une candidate pour bluffer ? A ce stade, elle n’est qu’une candidate à ces actions, la carte qui vient de tomber va décider de son sort.
ETAPE 3 – DECIDER DE VOTRE ACTION
Il va falloir évaluer les conséquences de votre potentielle mise. Gardez bien en tête ce que votre adversaire aura tendance à faire car c’est cela qui va en grande partie déterminer votre action.
Sur une scare card, on voudrait :
- Bluffer
- Ne pas faire fuir l’adversaire avec une bonne main
Sur une brique on voudrait :
- Miser en value
- Eviter de bluffer
Sur une bad card on voudrait :
- Miser uniquement nos meilleures mains.
Vous devez maintenant décider si la main candidate est retenue. Par exemple, vous aviez sur , vous pouviez potentiellement encore miser en value sur des paires moins bonnes à la turn et des tirages. Mais si un est tombé, vous décidez de vous raviser et checker pour la showdown value car vous estimez que maintenant des mains comme 77-55, A4, Q4s, etc. vont folder en raison de la scare card que représente le K et qu’en misant vous allez simplement vous isoler contre le top de la range adverse. Votre main est encore devant mais sa candidature pour la value n’a pas été retenue. Hélas, ici beaucoup de joueurs vont simplement miser « pour gagner le coup ».
Vous pouvez observer que j’emploie le conditionnel. Pour commencer, on ne peut pas toujours tout avoir, vous l’avez sûrement déjà remarqué…Ensuite, les stratégies que je propose ici sont valables si on réfléchit à la meilleure action avec une main contre la range adverse. C’est le cas quand on joue contre un récréatif, un mauvais reg ou un bon reg sur lequel on a peu de mains. Mais si vous êtes face à un bon reg contre lequel vous avez beaucoup de mains, vous allez devoir réfléchir un peu plus à jouer range contre range. C’est une notion qui échappe souvent aux joueurs de micros. Pour le dire plus clairement, vous allez vous demander l’action qui a le plus d’intérêt pour votre range et non avec votre main du jour. Cette dernière va en quelque sorte servir votre stratégie globale.
Reprenons l’exemple de la bad card. Vous êtes toujours sur avec un à la turn. Si vous ne misez qu’en value ici sous prétexte que les autres mains ne peuvent pas le faire en raison de la carte qui vient de tomber, votre stratégie sera comme on dit « face up ». Vous devez au moins miser quelques bluffs pour continuer de vous faire payer vos bons jeux. Par exemple des très bons tirages à 12 outs. De cette façon, ayant déjà une bonne équité, vous aurez besoin de peu de fold équité pour que le coup soit rentable. Bien entendu, vous éviterez de bluffer trop souvent…
De même, sur la scare card, si votre réflexe est de systématiquement la sous jouer lorsque vous êtes en value, votre adversaire comprendra qu’il peut sûrement vous relancer en bluff quand vous la miser car vous serez également la plupart du temps en bluff…
La bad scare card…
Je vous mets en garde contre un raccourci qui voudrait qu’une scare card serait automatiquement une carte montante. Prenons un exemple, vous êtes au BTN et vous ouvrez à 2,5 bb. La BB vous paye, un joueur régulier, le pot fait 5,5 bb. Le flop est et vous effectuez un continuation bet à 1/3 pot. L’adversaire paye. La turn est un . « Chouette, une scare card ! » pourraient s’écrier certains . Vous pourriez penser à miser en bluff. Seulement, dans ce genre de configuration et sur un tel sizing au flop, il ne faut pas oublier que les joueurs ont tendance à payer absolument tous leurs As. Or, n’oubliez pas qu’une main comme AT, même avec un As sur le board, représente 12 combinaisons contre 6 combinaisons pour un 66 par exemple. Autrement dit, le nombre de combinaisons d’As chez l’adversaire est assez conséquent. Ce qui semble être une scare card au premier abord est en réalité…une bad card.
Il est essentiel de ne pas réfléchir de manière automatique et de toujours penser à la range adverse, à la façon dont elle est impactée par la carte de la turn et à votre range perçue : comment votre adversaire pense que cette carte a influencé votre range. Prenez également en compte le niveau adverse. Finissons avec un move doliprane. Dans le dernier exemple, à la turn, nous avons déduit que la scare card est en réalité une bad card, ajoutons que l’adversaire a aussi le range advantage. Vous avez donc peu intérêt à miser (je parle en terme de fréquence). Non seulement vous aller checker de nombreuses mains qui auraient pu bluffer mais en plus, vous allez être prudent avec des mains comme 88-KK et checker. Bref, vous ne comptez pas vraiment investir souvent de l’argent. Le joueur comprenant cela pourrait vous y obliger en faisant un donk bet à 1/3 du pot à la turn sur lequel vous allez devoir beaucoup défendre. Et nous pourrions pousser le raisonnement encore plus loin : l’adversaire comprenant que vous comprenez que cette carte l’arrange pourrait en profiter pour miser bien plus souvent qu’il ne le devrait…et ainsi utiliser cette scare card pour vous à son avantage ! Etc.
Ce qui nous mènera à notre conclusion. Cet article est là pour synthétiser des concepts auprès des joueurs qui n’ont pas toujours le temps de travailler énormément leur jeu en dehors des tables avec des logiciels. Ils permettent de prendre des repères et d’avoir des points de fixation dans les raisonnements. Il est évident que pour franchir les paliers, vous devrez gagner en précision sur la lecture de la range adverse, sur le profiling, et quel que soit votre niveau de jeu, ne tombez jamais dans la caricature d’être dans l’automatisme sans réfléchir.