- 05 janvier 2022
- duxili
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En pleine lecture de Jared Tendler "The Mental Game of Poker", Duxili s'est lancé dans un travail pour maîtriser son tilt. Bien que ceci soit très personnel, il a trouvé l’approche si puissante qu'il se propose de la partager avec vous. Cet excellent rendu a permis à l'académicien de remporter le prix du meilleur article du mois novembre/décembre.
Présentation de la méthode anti tilt
Pour commencer, j’ai décidé de me lancer dans la revue écrite de mes épisodes tilteux (ben quoi y a bien des épisodes neigeux, orageux, pourquoi pas tilteux ???). En pratique cela consiste à la fin de chaque session où j’ai, même légèrement, tilté à reprendre tout de suite après tous les gros pots (par exemple +/- 20bb) et à les noter par ordre chronologique en détaillant :
1. L’action
2. Mes pensées en jouant le coup (c’est pour cela qu’il faut le faire très vite après, dans mon cas je m’aperçois qu’après une session même de deux heures je suis capable de retrouver précisément ce que j’ai pensé en jouant le coup).
3. Mon analyse « à froid »
4. Le gain ou la perte
Pour vous donner un exemple, cela donne :
8h03 iso KQs IP ; BC min raise avec FD 2 over et BD suite ; X nut flush ; B river vilain fold
"nh pas de chance qu'il paie pas"
L'A de trèfle est super scary mais il va payer autant turn que river et plus s'il a une FD correcte, je dois bet turn.
+11bb
Dégager les situations poker tiltantes
Après seulement quelques sessions la relecture de ce document me permet de dégager une liste des situations qui me font le plus tilter :
- L’erreur : je fais un play stupide, le plus souvent un call. Typiquement je me dis « pfff je suis derrière c’est sûr il a toujours AT ou AJ... Bah on sait jamais il a peut-être une miss draw et vu les odds j’ai besoin d’avoir bon seulement une fois sur trois. What the fuck, call ». Il retourne AT et c’est le drame : « putain mais quel con mais quel con, c’est pas possible de call ça, mais quel con ! En plus je le fais à chaque fois ! Et je le dis, il a AT et ben non je call quand même, etc »
- Encore la mauvaise carte sur le mode « putain c’est la pire carte du deck, le T de trèfle, ah non je suis mauvaise langue la pire c’était le J de trèfle, c’est que la deuxième pire ! Et bien sur elle tombe river quand je suis OOP. » Le pire c’est que même si je gagne le coup, je ne me calme pas (« putain sans cette carte j’aurais pu value bien plus ! ») La situation devient vraiment tiltante si j’ai déjà eu pas mal de mauvaises cartes depuis le début de ma session et/ou si j’ai bien denied les odds à un fish pour qu’il puisse voir sa river. Arrivé à un certain point le moindre flop miss m’affecte.
- Encore un raise / 3b quand je suis en bluff. Là encore l’accumulation et ma réussite sur la session sont clés pour que l’élément soit déclencheur, c’est encore pire si j’ai eu un walk sur mon AA ou un fold sur mon iso avec KK avant ou si j’ai hésité à open avec une main marginale pour le spot. Bref je déteste fold (d’où mon côté bien CS) et les sessions où je dois beaucoup fold sont particulièrement tiltantes. Je tilt aussi bien quand le gars qui a 2% de 3b 3b mon bluff (« putain y a rien qui passe, je peux même pas bluffer le nit de sa race, il faut qu’il ait une main pile à ce moment-là ») que quand c’est le gars qui a 20% (« putain il peut pas me bluff quand j’ai quelque chose, là je suis totalement à poil j’ai pas assez d’EV pour play back, je dois fold encore »). J’accepte par contre beaucoup mieux quand c’est un bon reg qui fait le move.
- La certitude de me faire exploiter. J’ai pourtant déjà pas mal progressé dans le domaine, en particulier sur les meilleurs regs : j’accepte maintenant que des joueurs soient meilleurs que moi, il est donc normal qu’ils m’exploitent, je le supporte d’autant mieux que je sais que cela ne m’empêche pas de battre la limite et qu’en engrangeant des données, je vais pouvoir progresser en les imitant. Par contre j’ai encore du mal quand c’est un mauvais reg qui prend un spot systématiquement (3b, XR, etc) ou un degen. Je perds souvent patience et play back même si je n’ai pas la main pour.
- La session négative. En début de session je maitrise cela assez bien mais au fur et à mesure que la session avance et que je ne gagne toujours pas, la pression monte, on reboucle avec les situations précéddentes.
- Le bad beat. C’est là où j’ai le plus progressé. Je ne raisonne plus qu’en AI EV, je suis content si je suis positif en AI EV même si je finis la session négatif, je sais que sur le long terme cette variance s’efface, je supporte depuis nettement mieux de me faire craquer les AA sur un AI PF ou que le gars touche son 2 outs sur un AI turn. Je n’ai pourtant pas totalement éliminé cet effet qui joue un rôle cumulatif : soit il accélère le tilt dû à une mauvaise carte, soit il augmente mon tilt quand je suis déjà tilté par un autre facteur.
- Le hit & run / le destackage du fish qui a pris mes jetons. Un bon gros fish me prend beaucoup de bb (bad beat, mauvaise carte, etc) il sit out en emportant mes sous ou se fait déstacker par un meilleur joueur de la table et sit out.
Tirer des enseignements de nos tilts
- Le premier constat est positif : je n’ai pas attendu de mettre au point cette méthodologie pour progresser sur le sujet et j’ai déjà beaucoup progressé ! Par exemple, je ne tilt plus en début de session : l’an dernier à la même époque j’avais dû faire une pause car le moindre bad beat me faisait tilté encore plus si c’était la première main de la session « putain ça y est ça recommence, je suis maudit en ce moment ça va encore être une putain (oui j’aimais déjà me dire putain à l’époque) de session de merde ». Là je maitrise toujours mes débuts de session, il faut une accumulation d’événements pour me faire tilter.
- Le deuxième constat est que je suis trop exigeant avec moi-même : je m’attends à ne pas faire d’erreur alors que je ne maitrise pas suffisamment techniquement bon nombre de points : j’exige de moi de jouer 80% des spots comme un bon reg de NL100 quand je suis entre la 25 et la 50. Je suis logiquement déçu. Je dois donc me fixer des objectifs réalistes : il y a des erreurs que je ne dois plus faire, celle-là je vais me les noter sur un bout de papier et le lire avant chaque début de session. Pour les autres je continuerai à appliquer la stratégie d’évitement (respiration, et me répéter «c’est OK tout le monde fait des erreurs, ça arrive » en ajoutant « en plus en 25 c’est normal de faire ce genre d’erreur ». Il faut accepter d'avoir lu et compris beaucoup et de ne pas encore savoir tout appliquer en session.
- Troisième constat, il est totalement stupide d’accepter une mauvaise carte ou une agression de vilain si la session est positive et de ne pas prendre la chose de la même manière si la session est négative : « OK je run bad mais sur le long terme cela s’équilibre, quelle importance de perdre 4 caves en une session si on est gagnant sur le long terme, profite de l’opportunité pour te prouver que tu as progressé dans la gestion du tilt ». Ou « pourquoi donnes-tu plus de poids aux résultats de cette dernière demi-heure qu’à ceux que tu as fait (date de ta dernière session positive) ? Ils ont la même influence sur ta bankroll et les mêmes conséquences sur les résultats de ta prochaine demi-heure : aucunes sauf si tu te laisses affecter par ton bad run ! ». Je peux mixer cela avec un « le gars a un leak, c’est le genre de coup qui va le conforter dedans, c’est bon pour la suite ».
- Quatrième constat, quand quelqu’un est déséquilibré en bluff c'est qu'il est exploitable !. « Sur le long terme on est largement gagnant contre ces profils, par contre si on gamble on bat même pas le rake » à coupler avec l’adaptation technique nécessaire : « ressers ta range d’OPR (de cb) et augmente ta range de défense ».
- Cinquième et dernier constat : puisqu’on bat la limite c’est qu’on va encore trouver plein de fishs à plumer et si celui-là a gagné il devrait logiquement revenir. « C’était pas ton argent, à partir du moment où il l’a gagné c’était le sien et vu son jeu il va le perdre, lui ou un autre, ce qui compte c’est d’être gagnant. » A coupler avec la question technique « bon maintenant qu’il est parti l’équilibre de la table a changé. Est-ce qu’elle est encore profitable ? Si oui et que le niveau a augmenté, raison de plus pour redoubler d’attention pour y être gagnant. Si non tu te barres. »
Vous l’aurez compris je vais lire et relire, me répéter ces « petites phrases » à l’envie, les garder sous le coude lors des sessions et les ressortir à la première mauvaise carte et/ou au 3ème 3b. Et je referai le point dans un mois voir si j’ai plus ou moins tilt et si les facteurs déclencheurs ont évolué.
Conclusion de la méthode anti tilt
Face au tilt on est tous égaux, même si y en a des plus égaux que d’autres. Pour le dire autrement, les facteurs déclencheurs sont globalement les mêmes pour chacun d’entre nous mais à cause de sa personnalité, de son histoire personnel on supportera sans difficulté tel facteur quand tel autre nous plongera immédiatement dans un état de tilt avancé. La lecture de Tendler m’a convaincu qu’il ne tient qu’à nous d’enrichir notre propre histoire pour éliminer petit à petit tel ou tel facteur.
Comme chacun est différent chacun pourra trouver une réponse différente à son problème. Mais comme pour tout au Poker, c’est en travaillant que l’on progressera le plus vite, c’est aussi le travail qui nous permettra de mesurer tous les progrès que nous accomplissons chaque jour.
C’est un travail d’autant plus intéressant à faire qu’il pourra avoir des répercussions positives au-delà de notre maitrise du mental au Poker. Techniquement bien sûr car en étudiant nos plays en tilt on découvre aussi certains de nos leaks, mais aussi au-delà du Poker, ce travail d’acceptation de la variance, de positiver les mauvaises rencontres se révélera utile dans notre vie quotidienne.
Article écrit par Duxili