- 03 septembre 2015
- duxili
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Duxili a été l'un des membres récompensés lors de la promotion "meilleurs articles du mois". Il vous présente sa perception sur la notion de "chance" au poker ainsi qu'une façon de la mesurer.
Introduction
Savoir mesurer sa chance est une compétence clé au Poker. La première raison est que cela permet de bien mieux gérer le jeu mentalement : cela aide à relativiser dans les périodes de bad run et à ne pas s’enflammer quand les choses vont bien. La deuxième raison est que cela permet d’identifier ses points forts et ses leaks bien plus vite. Tout au long de cet article je vais illustrer mes propos dès que possible par ma base de données qui compte un total de 470 kh toutes limites confondues en négligeant le rake.
Mais dans un jeu où la variance joue un rôle aussi essentiel, cela n’a rien d’évident car la chance se cache à bien des niveaux…
Duxili a participé à la promotion meilleur article du mois, et a remporté le premier prix pour 300 PPA
Différence entre le Net et l'All-In EV
Le premier et le plus évident est mesurée par nos trackers par la différence entre le Net et l’EV : je vais All In pré flop avec AA en SB pour 100bb et suis call par le fish en BB qui me couvre et me montre 55, j’ai 80.9% de chance de gagner le coup. L’EV me crédite donc de +61.8bb (200x80.9%-100) sans attendre que le board soit tiré. Si je gagne le coup j’ai gagné +100bb. Si je le perds j’ai perdu -100bb.
La différence entre le Net et l’EV mesure donc la chance que j’ai eu sur le tirage des cartes restantes une fois All-in. Une différence positive montre que j’ai eu de la chance, une différence négative que j’ai eu de la malchance. Il est intéressant de remarquer que dans mon exemple précédent si je gagne avec AA contre 55, j’ai eu de la chance puisque ma différence est positive de 38.2 bb ! (Gagner un 80/20 n’est pas « normal », cela n’arrive « que » 4 fois sur 5 en moyenne). Voilà mon graphe entre mon Net et l’EV :
Les mains de départs
Du reste le tirage des cartes constitue un facteur de chance important, et pas seulement quand on se retrouve All In mais à tous les moments de notre jeu. Je vais en prendre quelques exemples. Et on commence par le début : qui n’a pas vécu de longues minutes passées à folder des 92o et autres 73s ? Il existe 1 326 mains de départ au Hold’em : 78 pocket paires (13 hauteurs de 6 combos chacune), 312 mains suités (78 combinaisons de 4 couleurs possibles) et 936 mains non suités (78 combinaisons de 12 combos de couleurs possibles). On a donc 0.452% de chance de toucher une paire d’A (comme pour toutes les autres PP) soit 6 combos/1 326, 0.302% de chance de toucher un AKs (ou tout autre combo suité) ou encore 0.905% de chance de toucher AKo. Voilà ce que donne ma fréquence de premium:
Les cartes du board
Mais le préflop ne fait pas tout, et quelques situations standards post flop peuvent aussi faire toute la différence : toucher un set avec nos PP ; avec 2 outs et 50 cartes inconnues on va manquer la première carte 48/50 du temps et si on l’a manqué on a un peu plus de chance que cela arrive sur la deuxième carte 47/49 puisque la première carte du flop est connue et donc 46/48 sur la troisième. On va donc toucher un set 11.8 % = 1 - 48/50 x 47/49 x 46/48. Dans mon cas 11.2%.
Plus modestement il est important de pouvoir toucher au moins une Top Paire avec nos broadways. Cela arrive bien entendu plus souvent puisque nous disposons alors de 6 outs au lieu de 2, soit 32.4% = 1 - 44/50 x 43/49 x 42/48. Dans mon cas 32.4%.
A l’opposé, quel bonheur de flopper une couleur quand on a call préflop son 76s ! Il reste alors 11 cartes de notre couleur sur les 50 inconnues pour que la première carte du flop soit de la bonne couleur mais il faut aussi que la deuxième le soit alors qu’il ne reste plus que 10 cartes sur 19 et même la troisième, soit 0.84% du temps = 11/50 x 10/49 x 9/48. Dans mon cas 0.89%.
De la même façon toucher sa couleur à la turn ou à la river quand on semi bluff avec un tirage aide grandement. A la turn on a 9 outs et 47 cartes inconnues, à la river toujours 9 out mais plus que 46 cartes inconnues soit respectivement 19.1% et 19.6% de chance de toucher sa suite. Dans mon cas 19.3% et 17.7% (il est normal d'avoir un peu moins vu que l'on aura plus souvent de l'action quand les vilains ont soient des flush draws, soit des bloqueurs ce qui réduit d'autan nos nombres d'out).
Gros échantillon VS Petit échantillon
On peut multiplier les exemples quasi à l’infini, le fait est que sur un gros échantillon, comme le démontre mes stats, les différences sont minimes (en passant, au moins cela qui ne semble pas rigged au Poker en ligne après une analyse sérieuse). Pourtant sur une période plus courte les choses peuvent être bien différentes et bien entendu cela va beaucoup influencer ses résultats. Par exemple le mois dernier j'ai vu en moyenne une grosse centaine de flops avec chacune de mes combos de PP et la fréquence de set est assez remarquable: d'une part au total, j'ai floppé 10% de moins de set que ce que les statistiques me donnent, ce n'est pas rien !
Et sur des échantillons encore 10 fois plus petits (chaque PP), on voit que les ratios sont très différents et que si les JJ m'ont plutôt porté chance en touchant leur set 3% de plus que prévu, j'aurais mieux fait de folder mes 55 préflop ce mois-là, vu la scoumoune qu'ils m'ont portée touchant des set trois à quart fois moins souvent que prévus !
Les ranges adverses
Mais les choses resteraient simples si le seul facteur de chance au Poker était le tirage de nos cartes et de celles du board. La chance se cache aussi dans les cartes adverses : ça ne sert pas à grand-chose de toucher un set si son adversaire est en mode give up de toutes les façons… Et c’est là que tout se complique car il faut savoir estimer la range adverse pour pouvoir correctement mesurer sa chance. Or on a jamais fini au Poker d’améliorer sa lecture de la range adverse. Et c’est ce mélange de la chance et de la compétence qui rend la lecture de la variance si difficile.
Prenons un nouvel exemple : je décide de call le tapis préflop à 100bb deep, de mon adversaire après avoir ouvert et 4b AKs UTG. Il me montre KK. Ayant 34% d’EV (raisonnons en EV pour éviter la chance liée au tirage déjà mesurée entre le Net et l’EV), je suis perdant sur le coup. Pas de chance, je suis tombé sur la mauvaise partie de sa range.
Sauf qu’en réalité cet adversaire, qui joue 16/14/4% de 3b ne va 5b shove que AA et KK contre moi dans ce spot. Ses 3bet viennent de très rares bluff tous en late positions et d’une range de 3b plus large contre les fishs. Un joueur plus expérimenté que moi aurait mieux estimé sa range de 5b shove contre laquelle je tombe à 23% d’EV. Dans ce cas précis je suis en fait tombé sur la meilleure partie de sa range qui me fait gagner plus de 10% d'EV ! Je vais donc penser avoir manqué de chance quand bien ma perte vient avant tout de mon erreur d’estimation de range et que j'ai en fait eu beaucoup de chance de tomber sur la bonne partie de sa range et donc de limiter ma perte !
Il est d’autant plus difficile de mesurer ce facteur de chance, qui est pourtant le plus important au Poker, qu’on va souvent « oublier » de se poser les bonnes questions sur les mains où l’on a eu de la chance et se concentrer sur celles où l’on en a manqué. Prenons les 2 mains suivantes en assumant les ranges de vilain comme exactes.
Sur cette première main, je joue contre un reg assez passif qui open 40% de ses bouton, fold 70% au 3b avec une 4b range de 4%. Il raise très peu post flop (5% au flop encore moins à la Turn), préférant call ses draws IP quitte à tenter un bluff River. Je décide de cb pour lui faire fold des broadways suités qui aurait miss avec l’idée de 2 barrel les cartes qui me rapportent de l’équité. Le cb ne fonctionne pas mais le K touche bien ma range et je décide donc de 2 barrels pour faire fold ses float et ses mauvaises draws. River tombe le 7 de pic qui complète les draws. Je sais que je suis derrière et pense qu’il a pas mal de paires dans sa range entre les pockets intermédiaires type JJ-TT, des mains types AT ou KQ, etc. Je décide donc de shove, quitte à être snap par ses flushs voire ses suites. Il tank un long moment et finit par trouver le bouton fold. Je suis ravi de mon bluff et me félicite d’avoir eu le courage de tenter ce joli move qui lui a clairement fait passer une paire comme je le pensais, vu comment il a tank j’aurais surement perdu le coup avec un bet moins fort !
Je fais ici face à un fish très CS qui défend 50% de ses mains, fold au cb 20% / 30% / 70% respectivement Flop / Turn / River. Je décide de pot pour maximiser ma value sachant qu’il ne lâchera ni une paire ni une draw. La Turn est parfaite et je repars sur un pot. La River est la pire carte du board, quasiment toutes les draws sont maintenant rentrées. Il va fold tout ce que je bats si je bet (sauf peut-être quelques rares Q). Et avec son 60% de bet vs miss cb il va bet tous ses airs et toutes ses nuts. Je check donc en priant pour le voir check back sa paire de 7. Las il shove et je fold, écœuré, en pestant contre ce tirage de cartes qui m’a fait maximiser mes pertes.
A froid je reprends la main sous Flopzila pour valider que mon fold était bon malgré les odds.
Il me fallait mettre 26 pour gagner 93.5+26 soit 21%, j’estime que j’en avais 24%. Une petite erreur donc puisqu’avec un call je n’aurais perdu que -59 + 24% x 119.5 = 30 bb mais ce n’est pas ce qui m’a couté cher : qu’est que 3bb (les 33 que j’ai perdu moins les 30 d’EV qu’un play optimal m’aurait couté) quand cette saloperie de river me coûte un gros pot !
J’aurais pourtant eu intérêt à aussi reprendre aussi ma première main sous Flopzila :
Le push river est également une erreur je risque 67.5 pour gagner 65.5 + 67.5 je dois donc gagner le pot 51% du temps : or vilain ne va fold que 45% du temps.
Au final, si l’on fait la somme de mes 2 coups, j’ai break even à 0 bb en net. Avec les plays que j’ai faits j’aurais dû perdre 74bb en EV. Et en prenant les bonnes décisions River j’aurais limité mes pertes à 63bb en EV.
Je ressors de cette session avec le sentiment d’avoir grandement manqué de chance. C’est en partie vrai puisque le est effectivement la pire carte du pack. Mais ce manque de chance a été grandement compensé par le fait que je suis tombé sur la bonne partie de la range du reg sur la première main, sur un pot plus gros, qui plus est. Et il ne doit pas me faire oublier le fait que j’ai commis 2 erreurs à la River qui au final m’ont aussi coûté plus de 10bb en seulement 2 mains, à comparer à mon WR sur 100 mains…
Conclusion
En conclusion, savoir mesurer sa chance est une compétence fondamentale au Poker et qui se travaille (est-ce un hasard si les joueurs de micro se plaignent proportionnellement beaucoup plus de leur bad run ?). Inutile de whine sur telle ou telle main où l’on a manqué de chance, mieux vaut analyser celles où l’on doute de son play et ne pas oublier de revoir aussi les mains où l’on a beaucoup gagné pour comprendre à quel point on a été chanceux.
Article écrit par Duxili