- 05 juillet 2017
- petiteglise
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Toutes les théories économiques postulent que l’on souhaite toujours maximiser ses gains (postulat de l'Homo œconomicus). Pourtant, au poker comme dans la vie, on préfère souvent un gain moindre à un gain plus élevé. Découvrez le paradoxal effet “moins c’est mieux”.
Evaluation par rapport au référentiel
C’est bientôt l’anniversaire de votre copine et vous souhaitez passer pour un balla. Problème : vous êtes broke.
Il y a une solution : lui offrir un cadeau cher, d’une catégorie peu chère.
Les participants d’une étude menée à l’Université American Midwest devaient imaginer, pour un groupe, qu’un de leur ami leur avait offert un manteau en laine à 55$ d’un magasin où ces manteaux coûtent entre 50 et 500$ et pour l’autre groupe une écharpe à 45$ de ce même magasin où elles se vendent entre 5 et 50$. Conclusion : non seulement les participants ont dit que l’écharpe les rendait plus heureux mais qu’elle reflétait une plus grande générosité.
Pour en revenir à votre copine, vous passerez pour un balla si vous lui offrez un super resto à 200€ mais pas si vous lui payez un week-end covoit’ / Formule 1 / fast food à 250€.
Au poker, imaginez qu’un joueur de NL2000 gagne 100€, soit 5bb, en une heure. A priori il ne sera pas mécontent, mais n’éprouvera rien de spécial. Maintenant si ce même joueur décide de retourner en NL50 pour le fun et gagne 80€ en une heure, il sera bien plus satisfait.
Pourtant, il est irrationnel, du moins d’après le postulat de l’homo economicus, d’être plus content de gagner 80€/h que 100€/h.
Evaluation séparée / jointe
Quand on veut acheter un objet on effectue l’un des deux raisonnements suivants : soit on regarde le rapport qualité / prix d’un seul objet (évaluation séparée) soit l’on compare plusieurs objets et on choisit le meilleur (évaluation jointe).
Par exemple si vous voulez changer d’ordi, soit vous vous demandez si tel ordi vaut son prix et si oui vous le prenez, ou alors vous comparez plusieurs ordis et en choisissez un.
En réalité le plus rationnel serait de comparer la quasi infinité des objets que vous pourriez acheter pour le même prix “si je dépense 1000€ pour un ordi, ça sera autant de moins pour les restos / loisirs / vacances, qu’est-ce que je préfère ?” Répondre à ces questions étant impossible, on se contente d’évaluations séparées ou d’évaluations jointes entre objets de la même catégorie.
Le problème est que ces évaluations donnent souvent des résultats différents.
Dans une étude de 1996, les participants devaient choisir entre deux dictionnaires, l’un de 10 000 mots flambant neuf, et un autre de 20 000 mots un peu corné. Quand ils étaient évalués séparément, le dico neuf était préféré, mais quand ils étaient évalués concomitamment, le dico le plus complet était choisi.
Les commerçants connaissent bien ce principe et en abusent, ou plutôt nous abusent.
Un produit ne se vend pas ? Placez-le entre un même produit bas de gamme, pas cher mais pourri, et un autre haut de gamme, de qualité mais trop cher.
Pis encore, des propositions absurdes peuvent modifier nos préférences, comme l’a montré Dan Ariely dans une célèbre étude proposant des abonnements à The Economist :
Quand les participants avaient le choix entre
- un abonnement à la version web pour un an à 59 $
- un abonnement aux versions web + papier à 125$
ils choisissaient en majorité l’abonnement internet.
Mais quand les participants devaient choisir entre
- un abonnement à la version web pour un an à 59 $
- un abonnement aux versions web + papier à 125$
- un abonnement à la version papier à 125$
ils choisissaient l’abonnement aux versions web + papier en majorité…
Au poker, on peut voir des effets similaires, par exemple si vous devez choisir entre une 1ère place à un tournoi pour 5k et une troisième place à un autre tournoi pour 6k, a priori vous serez rationnel et choisirait le plus gros gain. Mais si vous aviez dû évaluer le bonheur lié à ces gains de manière séparée, il est plausible que la victoire à 5k aurait eu votre préférence.
D’ailleurs, si vous vivez les deux, il y a fort à parier que la victoire à 5k vous rende réellement plus heureux que la 3ème place à 6k.
Evaluation moyenne et non totale
Dans une étude, les participants évaluaient plus cher un service de 24 couverts intacts qu’un autre service comprenant ces mêmes 24 couverts + quelques autres intacts + quelques autres abîmés. Evidemment, il s’agissait d’évaluations séparées et non jointes, mais cette étude montre un autre phénomène : on évalue plus facilement une moyenne qu’un total.
Au poker, si vous jouez pendant une heure sur une table et que vous gagnez 200bb, vous serez très contents. Mais si vous multitablez pendant une heure sur 4 tables et faites respectivement +200bb, +25, -10, -10, vous serez sans doute moins satisfait.
Pensée contrefactuelle
La contrefactualité est le mot philosophique désignant la réflexion à propos d'événements qui auraient pu se passer sous certaines conditions, mais n’ont pas eu lieu. En gros, ça correspond à “si seulement… alors…”.
Une étude très connue de 1995 a montré qu’au JO les médaillés de bronze étaient en moyenne plus heureux (juste après l’épreuve et aussi plus tard dans la journée) que les médaillés d’argent. En soit c’est absurde. Mais le médaillé d’argent ne peut s’empêcher de s’imaginer “ah si seulement… j’aurais été médaille d’or” tandis que le médaillé de bronze se félicite “ouf, si y’avait pas eu ça, alors j’aurais pas eu de médaille”.
Ainsi la question titre n’est pas (totalement) idiote : 10ème au Main Event des WSOP ou 1er au Sunday Surprise ? Même en sachant que le premier cas correspond à un gain d’environ 500k et le deuxième à environ 10k, il n’est pas évident de savoir lequel rend réellement le plus heureux. Se faire éliminer juste avant la TF du Main Event serait sans doute la plus grosse perf, mais aussi la plus grande déception de votre carrière !