La florissante maison de jeux parisienne a alimenté un conflit larvé entre associés corses. Qui a conduit plusieurs d’entre eux en prison, mais aussi l’ex-gendarme de l’Elysée Paul Barril.
Entre associés, ils l’appelaient la «poule aux oeufs d’or». Depuis sa réouverture en grande pompe, en novembre 2006, le cercle de jeux Concorde, rue Cadet, à Paris, vivait dans l’opulence. Sous le tapis vert, la justice a découvert beaucoup d’argent. Et, dans les placards, quelques cadavres. L’histoire fleure bon le milieu à l’ancienne et la guerre des clans corses. On y parle en code, des «affreux», de la «belette», ou encore de l’ «ordure du pays du chocolat». Sans oublier une figure tutélaire du milieu, dit le «vieux monsieur».
L’affaire commence par un sanglant règlement de comptes. Le 4 avril 2006, à Marseille, Farid Berrahma et deux de ses lieutenants sont assassinés au bar des Marronniers. L’un des assaillants est blessé par une balle qui ricoche. Peu après, à Paris, le portable de Paul Lantieri, l’une des figures des nuits aixoise et bonifacienne, sonne. Selon les enquêteurs, c’est lui qui s’arrange pour qu’un neurochirurgien marseillais prenne en charge le blessé, enregistré sous un faux nom dans une clinique.
Ce simple coup de fil ouvre d’autres horizons aux policiers. Lantieri se révèle être le principal financier du cercle Concorde, au côté d’un banquier suisse, François Rouge. Le tour de table a été bouclé grâce à Edmond Raffali, 75 ans, qui apporte son expérience des jeux. Il est allié aux frères Federicci, qui passent pour des valeurs montantes du banditisme corse. L’un d’eux, Ange-Toussaint, dit «ATF», soupçonné d’être le fameux blessé des Marronniers, est arrêté en janvier 2007 alors qu’il sort d’un restaurant de caviar, à Paris.
L’Intérieur autorise l’ouverture
Très vite, le torchon brûle entre associés - Lantieri-Rouge d’un côté, Raffali-Federicci de l’autre - pour le partage des recettes. L’endroit, porté par la mode du poker, génère en effet des bénéfices considérables, estimés à plus de 300 000 euros par mois. La fâcherie remonterait au 23 mai 2007. Ce jour-là, Paul Lantieri et le fils d’Edmond Raffali manquent s’écharper. Ce qui, selon le principe du battement d’ailes du papillon, provoque des catastrophes en chaîne.
Comme dans les meilleurs polars, on s’en va trouver à Marseille le «vieux monsieur». Il est identifié comme Roland Cassone, 63 ans, un rescapé de la guerre des gangs des années 1980. Ce «juge de paix» aurait tranché en faveur du clan Raffali-Federicci. Une décision qui le rend méfiant: lorsqu’il est arrêté, dans sa propriété de Simiane, près de Marseille, le 28 novembre dernier, Cassone taille sa haie, un pistolet automatique à la ceinture et un gilet pare-balles à proximité.
Ecartés, le banquier Rouge et son associé Lantieri envisagent une riposte. Sur les conseils de Me Jacques Vergès, le financier prend contact avec le célèbre capitaine Barril, ancien gendarme de l’Elysée, reconverti dans la sécurité. Une relation de celui-ci, mise sur écoutes, proposera, moyennant finances, un plan, plus ou moins loufoque, allant de l’intimidation à l’élimination des concurrents. Les principaux acteurs de cette embrouille dorment aujourd’hui en prison, à l’exception de Paul Lantieri, en cavale.
Tous les mystères sont loin d’être levés. Il reste à comprendre pourquoi Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a autorisé l’ouverture de la maison de jeux avec à sa tête ce sulfureux attelage à l’automne 2006, et pourquoi Michèle Alliot-Marie a renouvelé cette autorisation un an après. Dans les écoutes, l’un des suspects fait allusion à un ancien ministre proche de Charles Pasqua et de Sarkozy.