Jeux en ligne : La révolution fiscale n'aura pas lieu

Jeux en ligne : La révolution fiscale n'aura pas lieu

Un amendement au projet de loi de finance 2012 vise à asseoir désormais la fiscalité des jeux en ligne sur le produit brut des jeux (PBJ), plutôt que sur le volume des mises, comme c'est encore le cas aujourd'hui. Une bonne nouvelle qui pourrait en cacher une mauvaise pour les opérateurs du secteur...

Pas de révolution fiscale PokerHier soir, le secteur français des jeux en ligne s'est fait une belle frayeur. "Les députés veulent la mort du poker en ligne", titrait Poker Actu, "Vent de panique dans l'industrie du poker en ligne", renchérissait Club Poker, alors que Made in Poker parlait quant à lui d’aberration"...

L'amendement Lamour amer

En cause, l'adoption mardi par la commission des finances de l'Assemblée d'un amendement porté par le député de Paris Jean-François Lamour et accusé depuis ce matin d'induire une hausse de 25% de la taxe perçue par l'Etat, preuves à l'appui, fournies par l'intéressé lui-même, en annexe de son amendement:

Amendement Jeux en Ligne

Amendement Jeux en Ligne

En additionnant la part revenant à l'Etat et celle de la Sécurité Sociale dans les projections 2012 (second tableau) on arrive au taux de 45%. Un chiffre avec lequel les opérateurs n'ont pas manqué de s'étrangler, à l'instar d'Alexandre Dreyfus. " La commission des finances à l’Assemblée aurait voté aujourd’hui une augmentation de 25% de la taxe sur le poker en ligne. Certes, l’assiette serait changée des mises aux produit brut des jeux (très bien), mais là où nous payons aujourd’hui environ 34% (hors TVA) du rake (PBJ) que nous collectons, il faudrait payer 46% ! ", pouvait-on lire sur le blog du patron de Chili Gaming.

"PBJ" ou "PNJ", le grand malentendu

Mais à bien y regarder, il s'agit plus vraisemblablement d'un malentendu. Jean-François Lamour, à l'origine de cet amendement précise d'ailleurs lui-même que " Les taux des prélèvements sont modifiés pour tenir compte du changement d’assiette, mais les niveaux proposés assurent la neutralité de l’amendement pour les recettes fiscales de l’État, des opérateurs, de la Sécurité sociale et des collectivités territoriales..." En d'autres termes, s'il n'est pas question ici de faire baisser la fiscalité - comme le préconisent non seulement le Rapport du sénateur Trucy, mais aussi l'Arjel, l'ensemble des opérateurs et, dans leur sillage, une écrasante majorité de joueurs - l'objectif n'est pas non plus de l'augmenter, mais de la maintenir à son niveau actuel. Cette bataille de chiffres sonne donc un peu creux, et cache probablement une malheureuse erreur factuelle dans la présentation des chiffres, sans qu'on sache très bien si elle provient du montant du produit brut des jeux retenu dans la démonstration, ou de ce chiffre de 34%, censé représenter le taux de taxation transposé des mises vers le PBJ... Le plus plausible serait une confusion entre le PBJ et le Produit net des jeux (PNJ). Selon nos informations, Jean-François Lamour s'apprêtait d'ailleurs mercredi soir à publier un communiqué de presse pour rectifier le tir.

Des raisons de se réjouir

Pour l'instant, les opérateurs qui attendaient un allègement de la taxe en sont donc pour leur frais, comme les joueurs. Mais dans le contexte actuel de rigueur budgétaire, c'était sans doute prendre un peu ses désirs pour des réalités. Il n'en reste pas moins que le changement d'assiette fiscale représente une avancée non négligeable pour ces mêmes opérateurs qui n'ont eu, à juste titre, de cesse que de dénoncer la taxation des mises, qui aboutissait inéluctablement à d’authentiques aberrations. Ainsi, pour le poker, les opérateurs appliquaient jusqu'à présent la règle du "no flop no drop" (pas de prélèvement avant le flop, ndlr) à leurs frais, puisque la taxe quant à elle continuait à s'appliquer. En calculant la taxe sur le PBJ, le législateur résout la question et la conséquence directe pourrait être la réouverture des tables de heads-up high stakes que des rooms, comme Winamax ou PokerStars, avaient récemment décidé de fermer, victimes collatérales de l'assiette fiscale initiale. Certains le jugeront sans doute un peu maigrichon, mais voilà au moins un motif de satisfaction pour les joueurs. Côté paris sportif (à cote fixe), l'aberration était encore plus criante puisque les parieurs jouent contre l'opérateur, qui prend donc à chaque ouverture de pari le risque de devoir reverser des sommes supérieures aux mises engagées si les joueurs ont parié mieux que les bookmakers, tout en s'acquittant de la taxe. Là aussi, l'amendement a au moins le mérite de résoudre le problème.

Mais aussi des raisons d'avoir peur

Toujours en marge de l'adoption du projet de loi finance 2012 par le parlement, d'autre nuages planent tout de même sur le secteur des jeux en ligne. Ainsi, une nouvelle taxe est à l'étude et a déjà été adoptée en commission des finances. Elle porterait sur les jeux de casinos, les cercles et les jeux en ligne à l'exception des paris sportifs ou du Loto, à hauteur de 1% du PBJ, et servirait à dégager 150 millions d'euros pour "l'accompagnement des personnes âgées et des personnes handicapées". Enfin dans son rapport, le Sénateur Trucy laisse planer la menace d'une nouvelle limitation du taux de reversement aux joueurs (TRJ), si la moindre corrélation avec l'addiction était avérée.

Le combat continue

Pour conclure, cet amendement controversé, s'il a bien été adopté en commission des finances et est débattu en ce moment-même publiquement sur les bancs de l'assemblée, a encore toutes chances de disparaître en cours de route et plutôt pour le pire que pour le meilleur. S'il est voté par l'Assemblée, le texte devra ensuite faire l'aller retour vers le Sénat avant d'être définitivement adopté. Autant d'occasions d'être retoqué. Et comme le rapporte le quotidien Les Echos, "si la position du ministère du Budget n'est pas encore formellement arrêtée, la tendance est, à ce stade, à un maintien du cadre fiscal actuel. Valérie Pécresse ne souhaite pas un changement de fiscalité, tant en termes de taux d'imposition que d'assiette , indique-t-on à Bercy." Ainsi, la polémique à peine achevée, on pourrait finir par regretter un amendement mort-né.

N.B. Le titre auquel vous avez échappé : "Jean-François fait Lamour au poker en ligne"

Vous pouvez retrouver également le rapport du Sénateur Trucy

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