- 07 février 2012
- mizar2001
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« Pour un homme de droite, un homme de gauche est un crétin idéaliste. Et pour un homme de gauche, un homme de droite est un connard égoïste. » Campagne présidentielle oblige, je pense souvent à cette phrase du philosophe Marcel Gauchet, qui m'a toujours fait sourire.
Que ce soit en me préparant une tartine de Nutella sur les coups de 3h du matin, ou après m'être fait destacké par un fish qui a touché sa ventrale à la river, il m'arrive parfois de me demander si le poker n'est pas un jeu de droite. L'esprit de compet, l'appât du gain, la ruse sont au centre de ce jeu. L'idée de base est quand même de manipuler son adversaire, de se montrer le plus malicieux le plus agressif, le plus efficace... avec in fine l'objectif de lui piquer son pognon.
L'argent, la compétition, le réalisme (et son excès, le cynisme) sont plutôt connotés à droite. La justice est plutôt une valeur défendue par la gauche. Or, quand Robertomalone69 vous check/raise all-in au flop, en pur bluff, 180 BB deep, et qu'il touche un backdoor brelan face à vos deux paires max flopées... bah, difficile de prétendre que ce jeu est fondamentalement juste. Sur le court, voire sur le moyen terme en tout cas.
Sur le forum privé des joueurs de poker pro ou semi-pro français, j'ai posé récemment la même question qu'ici : pour qui votez-vous ?A ma grande surprise (je n'étais d'ailleurs pas le seul), sur un échantillon représentatif d'une cinquantaine de votants, une grosse moitié des suffrages penchait vers la gauche. Un bon quart se déclarait de droite et le petit quart restant se situait plutôt au centre de l'échiquier politique. Mieux encore, pas loin de 20% des votants (9 d'entre eux précisément) avaient coché la case extrême-gauche. Un résultat savoureux quand on sait qu'une partie non négligeable, voire la majorité du forum, s'est expatriée à Londres ou en Thaïlande notamment pour des raisons fiscales. Un joueur pro, visiblement de droite, n'a pu s'empêcher de souligner ce paradoxe, sous-entendant que, comme souvent, il y a un décalage chez les gens de gauche entre les convictions et les actes. Un joueur sponso, Mélenchoniste convaincu, m'a accusé d'être de droite car j'avais mis la case « extrême-gauche » dans mon sondage, un terme péjoratif selon lui créé par les gens de droite pour qualifier toute une partie de la gauche. J'ignore encore s'il était vraiment sérieux ou s'il m'a « levelé » grave, comme on dit sur les forums de poker. Un autre joueur en a profité pour faire son coming-out anarchiste. Et l'ambiance s'est alourdit un peu plus quand la case « extrême-droite » a été cochée par l'un des votants. Bref, j'ai foutu un beau bordel avec ma question à la con.
J'ose espérer qu'il n'en sera pas de même sur ce thread, Poker Académie s'étant toujours distingué par son esprit convivial, voire fraternel. Sauf peut-être, quand l'un de ses nouveaux membres se plaint que le poker online, c'est rigged,. Ou bien quand un thread sur l'OM ou le PSG a la bonne idée de s'ouvrir. Je ne serai toutefois pas naïf : j'évalue à 89,4% les probabilités que ce thread dégénère, et à 51,1% les chances qu'il soit locké à terme. Pour ceux qui prennent les questions politiques très (trop) à cœur, et qui ont l'enflammade facile, je ne leur dirai qu'une chose, histoire qu'ils décompressent et relativisent un peu tout ça : de toute façon, on va tous mourir un jour les gars !
Un miroir de la nature humaine
Le scoop est donc que la majorité des meilleurs joueurs de poker français penche à gauche. Une tendance que l'on peut aussi expliquer par la moyenne d'âge, assez jeune, de nos meilleurs grinders. Toutes les études sociologiques et politiques démontrent que l'électorat se « droitise » à mesure qu'il vieillit. La Gauche est ainsi souvent majoritaire parmi les jeunes de 20 ans, et minoritaire chez les retraités. Georges Orwell ira même jusqu'à écrire : « Si l'on n'est pas de gauche à 20 ans, c'est qu'on n'a pas de cœur. Si on l'est encore à 40, c'est qu'on n'a pas de tête... » On pourrait au passage faire la même remarque concernant les peoples qui affichent leur passion pour le poker. Que se soit Laurent Baffie, Bruno Solo, Vikash Dhorasoo ou encore Joey Starr, tous se déclarent plus ou moins clairement de gauche et aiment manier les cacartes. Même l'homme politique Julien Dray, député PS, a évoqué sa passion pour le poker. A droite, j'ai beau chercher, je ne voire guère mieux que le producteur Valéry Zeitoun, sarkozyste avéré, pour représenter l'autre camp. A moins que Michel Sardou, Faudel ou Mireille Mathieu ne disputent en loucedé des parties privés... Mais la cote reste faible.
Difficile donc, au final, de vraiment connoter politiquement le poker. En revanche, j'ai toujours considéré que ce jeu était, quelque part, un reflet de l'existence ou un miroir de la nature humaine. Dans la vie, comme au poker, le bol, le hasard, jouent un rôle prépondérant. Mais les plus audacieux ou les plus débrouillards s'en sortent , en moyenne, mieux que les autres... pourvu que la chance ne les abandonne pas. En même temps, comme disait le légendaire golfeur Arnold Palmer (promis, ce sera ma dernière citation) : « Plus je travaille (mon golf), plus j'ai de la chance... »
Idem pour la nature humaine. J'ai toujours estimé qu'un gars (ou une fille) dévoilait une partie de lui-même, voire-même sa vraie nature, dans une situation de stress ou de compétition. A fortiori à une table de poker, où la tension et l'esprit de compet sont exacerbés par l'enjeu financier et par le fait qu'on reste assis. La pression, le stress ne pouvant donc être évacué en partie par la dépense physique, comme c'est le cas dans de nombreux sports. C'est aussi l'une des raisons qui rendent ce jeu, tout comme le golf d'ailleurs, si difficile sur le plan mental. N'a t-on pas coutume de dire que « le poker est la discipline la plus violente qui se joue assis » (on ne l'a compte pas comme citation celle-là, hein!).
Combien de fois ai-je vu sur un court de tennis un type, pourtant adorable en dehors, se métamorphoser en John McEnroe du pauvre, fracassant sa raquette de rage, braillant ou même insultant son adversaire ou le juge-arbitre. Rassurez-vous, je ne fais aucunement allusion à Como, que j'ai eu l'honneur d'affronter l'été dernier. Combien de fois ai-je assisté à un crêpage de chignon, viril mais incorrect, sur un terrain de foot municipal. Tout ça à cause d'une baballe. Et je n'évoque même pas les supporteurs dans un stade de foot, qui me font à chaque fois penser à cette citation de Cioran (en fait, je vous avais bluffé pour les citations) : « Au zoo, toutes les bêtes se tiennent correctement... hormis les singes. On sent que l'homme n'est pas loin. »
Oui papa !
A une table de poker, c'est pareil. Vous y retrouvez un échantillon assez représentatif de la nature humaine. Du mec sympa et plein d'humour au connard agressif qui insulte le croupier, en passant par le joueur compulsif incapable de maîtriser ses pulsions, le timide introverti, le bellâtre ténébreux, ou encore le mou du gland qui met trois plombes à prendre une décision... on trouve souvent de tout, entre la petite blind et le bouton. On s'accordera toutefois à dire que ça manque tout de même cruellement de nana ! C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles j'ouvre de plus en plus rarement la porte des cercles parisiens. Non pas le manque de nana (il y a toujours un petit risque, certes faible, que madame Mizar tombe sur ces quelques lignes...) ! Mais la présence du connard agressif, qui plombe souvent bien l'ambiance.
Idem d'ailleurs, dans un autre style, pour les tournois live. Je ne me ferai jamais à cette coutume, typiquement française (parisienne?) d'ailleurs, qui fait qu'on trouve toujours au moins un blaireau pour hurler « Oui papa, vas-y papa ! » après un gros coup remporté chanceusement. Et ce, sans aucune pudeur, aucune classe, ni aucune compassion pour le malheureux adversaire victime de ce coup du sort. A chaque podcast où il est invité (il faut dire que je ne m'en lasse pas), Valvegas nous raconte son élimination de l'EPT de Deauville par Michael Fraton, tapant du poing sur la table et éructant « Oui Fraton, il est là Fratoooon ! ».
Mon traumatisme à moi se nomme Angelo Besnainou. Ce vieux reg de l'ACF, pour ceux qui connaissent, m'avait éliminé des EFOP il y a plus d'un an. Quelques places avant la bulle, il avait payé ma vingtaine de blinds restant et mon 3-bet à tapis preflop avec sa vingtaine de blinds restant. L'intrépide détenait JT et affrontait mon AK. La voix rauque d'Angelo Besnainou vociférant « oui papa, il fallait avoir les couilles de payer !!! », lorsque un Valet apparut au flop, hante encore mes nuits...
Non, décidément, je ne m'y ferai jamais à ces hurlements primaires. Excepté peut-être ceux là...
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