Vous allez adorer finir 3ème de vos expressos : l’écart attentes / réalité.

Vous allez adorer finir 3ème de vos expressos : l’écart attentes / réalité.

Nos attentes influencent notre satisfaction future. Comment les attentes se créent-elles ? Comment les gérer ? Et comment la compréhension de ces phénomènes peut améliorer notre poker ?

Savez-vous ce que vous voulez vraiment ?

Voici un petit quiz de trois questions, pour tester si vous connaissez ce qui vous rend heureux.

1. Vous lancez un expresso à 100€ et, miracle, vous tombez sur le *10 000 ! Malheureusement, vous ne le gagnez pas et ratez les 800k de la gagne.
Préférez-vous finir 2ème pour 120k ou finir 3ème pour 80k ?

2. Vous avez le choix entre deux scénarios sympas :
a) Remporter un one-time à 10 millions et c’est tout.
b) Remporter 8 millions au total, sur plusieurs années, progressivement (1ère année 100k, 2ème 300k, 3ème 500k, etc)

3. Votre tentative de vie de joueur pro a échoué, et vous devez vous contenter d’un emploi salarié. La bonne nouvelle, c’est que vous pouvez choisir et votre salaire, et le salaire moyen de votre pays. Préférez-vous :
a) Gagner 50k vs une moyenne nationale à 50k aussi
b) Gagner 50k vs une moyenne nationale à 60k
c) Gagner 40k vs une moyenne nationale à 30k

Le corrigé

1. L’expresso
Aucune étude n’a encore été faite donc il n’y a pas de vraie bonne réponse, mais finir 3ème pour seulement 80k peut rendre plus heureux que finir 2ème pour 120k. La raison est psychologique : la déception de ne pas avoir remporté le jackpot alors qu’il était à portée de mains est plus importante que la joie d’avoir gagné 40k supplémentaires. Surtout si le HU se joue sur un flip.
Ces conclusions sont basées sur une étude qui a bien été réalisée : la différence de bonheur entre les médaillés d’argent et de bronze aux JO. Que ce soit juste après la compétition ou 24h après, les médaillés de bronze, satisfaits d’avoir eu une médaille au lieu de rien, sont en moyenne plus heureux que les médaillés d’argent, déçus de ne pas avoir eu celle en or. Il est intéressant de voir que les gens pensent l’inverse : quand on leur demande à quelle place ils préféreraient terminer au JO, voici leurs réponses :
2ème à 90%
3ème à 8%
avant dernier à 2%

2. Le one time
A la question de savoir s’ils préféraient gagner 10 millions en une fois ou 8 millions en gains progressifs, les cobayes d’une étude ont choisi à 92% vs 8% les 10 millions du one time. Cependant, les recherches ont montré que l’inverse rendait beaucoup plus heureux. Par exemple, moins de 18 mois après avoir remporté plusieurs millions au loto, les gagnants se sont habitués à leur vie de nouveau riche et ne sont pas plus heureux qu’avant. A l’inverse, gagner toujours un peu plus chaque année permet de faire croître son bonheur en même temps que ses gains.

3. Gagner plus, mais moins que la moyenne, ou gagner moins, mais plus que la moyenne.
Dans les études, les cobayes ont choisi :
Gagner 50k vs une moyenne nationale à 50k à 60%
Gagner 50k vs une moyenne nationale à 60k à 34%
Gagner 40k vs une moyenne nationale à 30k à 6%
Là encore, les gens se sont révélés de bien piètres prédicteurs de leur bonheur, car en réalité, on préfère gagner 40k vs une moyenne nationale à 30k. C’est à dire qu’on est plus heureux avec moins de pouvoir d’achat, mais quand on peut se dire plus riche que la moyenne.

L’écart attentes / réalité.

Le point commun entre les trois situations susmentionnées est l’écart entre les attentes et les réalités. Vous avez sûrement déjà entendu, peut-être autour de quelques bières bues au comptoir, une phrase du type “n’attends rien de la vie et tu ne sera jamais déçu”. Aussi “cheap” parait-il formulé ainsi, ce conseil dévoile une clé de la sagesse bouddhiste et ascétique, confirmée par la psychologie moderne : subir un écart entre ses attentes et la réalité rend malheureux. Et le corollaire : un des secrets du bonheur est d’avoir des faibles attentes.

Les attentes proviennent globalement de trois sources : l’imagination, le passé, l’entourage.

L’imagination

L’imagination est à la source des attentes dans le cas de l’expresso *10000. Un joueur de poker se prend souvent à rêver : qui en s’inscrivant à un satellite avec package WSOP arrive à ne pas s’imaginer à “Vegas at the fucking Mirage” pour paraphraser Rounders ? Plus généralement, quasiment tous les joueurs qui s'apprêtent à jouer s’imaginent sortir gagnant de leur session. Plus de la moitié seront déçus.

Le passé

Notre situation passée nous sert souvent de mètre étalon pour juger notre présent. Etre reg de NL50 peut vous rendre heureux si vous étiez récemment à la peine en NL10. En revanche, si vous avez bien connu la NL1000+, ça peut vous déprimer.

L’entourage

La plupart des gens, joueurs de poker ou non, se comparent à leur entourage, qu’ils utilisent comme mesure de leur valeur. Avouons-le, ce qui compte n’est pas tellement notre revenu, mais notre revenu par rapport aux revenus de ceux à qui l’on se compare. Un employé moyen d’une entreprise sera plus heureux de gagner 2500 et ses collègues aussi, que de gagner 2600 et ses collègues 3000. Des légendes comme Stu Ungar et Doyle Brunson ont toutes deux été en tête du All Time Money List avec entre 3 et et 4 millions de gains en tournois dans les années 80 / 90. Maintenant avec ces mêmes gains, même en prenant en compte l’inflation, on est un quasi anonyme à la 200 / 300ème place mondiale, et a priori moins satisfait.
Cette jalousie n’est qu’une propension assez commune. Fort heureusement, on peut aussi être sincèrement heureux du succès d’un joueur meilleur que nous. Enfin ça arrive. Parfois. A certains.

De faibles espérances : le secret du bonheur… pour les losers ?

Bon, ok, quand on a de faibles espérances, on est rarement déçus. Si au moment de l’inscription à un tournoi vous vous dites “encore un buy-in de perdu”, on voit mal ce qui pourrait vous décevoir. Mais trop de pessimisme risque de se transformer en une malheureuse prophétie auto-réalisatrice. Un champion ne doit-il pas au contraire afficher des ambitions énormes ?

Dans tous les sports et jeux, certaines légendes sont réputées pour être des hyper ambitieux et très mauvais perdants comme Phil Hellmuth au poker ou Macenroe au tennis. Je crois que cette approche est très surfaite. L’ambition certes est une qualité pour celui qui veut maîtriser un domaine. Mais plutôt que de placer son ambition dans des résultats qui comportent nécessairement une part d’aléatoire, et dont on sera souvent déçu, il vaut mieux la placer dans ce qu’on peut contrôler : le fait d’être meilleur aujourd’hui que hier, le fait de prendre du plaisir en jouant. A l’opposé des mauvais perdants on trouve des joueurs joviaux ou gentleman, qui n’en sont pas moins des tueurs in game, comme Negreanu ou Federer. Sans hésiter de meilleurs modèles à suivre, en terme de bonheur et peut-être aussi en terme d’Ev.

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