Les WSOP, de championnat du Monde de Poker à usine à fishs

Les WSOP, de championnat du Monde de Poker à usine à fishs

Analyse de ce que sont devenus les WSOP. De la critique de Negreanu aux nouveaux tournois "à recharge" (et non rebuy), en passant par une vidéo dans laquelle Ivey ne reconnaît pas le vainqueur du Main Event, nous allons voir comment l'appât du gain détruit le prestige des WSOP.

La critique de Daniel Negreanu

La star canadienne est connue pour son usage parfois acerbe de Twitter, en plus de son blog. Récemment, il écrivit :
" Je suis extrêmement triste de disputer l’unique tournoi de Stud de ces WSOP. Ces tournois donnent de superbes finales. Les WSOP n’ont jamais été si centrés sur les chiffres. C’était auparavant un festival avec différentes variantes de poker. La tendance actuelle est décourageante. C’était un endroit où les gens apprenaient de nouveaux jeux de poker mais désormais, ils ne jouent à rien d’autre que le NLHE qui leur est servi chaque jour. Le programme était fantastique quand nous avions 11 Events à 10k dans toutes les variantes. Si ça continue ainsi, vous verrez des gars comme Ivey ne plus jouer les WSOP. Le prestige de la marque s’affaiblit d’année en année. "

Le-dit Ivey, ami de Negreanu, l'a rapidement rallié :
" J’adore les WSOP mais je suis d’accord avec Daniel Negreanu à propos du programme. Nous devons protéger l’histoire des WSOP et proposer un programme équilibré. "

Ces critiques sont-elles des caprices de stars ou des débuts d'analyses pertinentes ? 

Trop de Holdem tue le Poker.

Rappelons qu'il n'y avait qu'un seul tournoi lors des originels World Series en 1971, puis deux tournois (dont un de five-card stud) en 1972. Le nombre d'events a ensuite progressivement augmenté pour atteindre 45 en 2006, et maintenant le record de 62 tournois au programme des WSOP 2013.

36 de ces 62 tournois se jouent en No-Limit Hold’em, la plupart d'entre eux ayant des buy-in relativement modestes (pour un prétendu championnat du Monde). L'exemple le plus caractéristique étant le nouveau tournoi millionnaire Maker, qui, grâce à son buy-in à 1.500 et ses 7 chiffres garantis à la première place, a fait exploser le record de participation à un Side-Event.

Une autre nouveauté sont les tournois "à recharge" : la cave des participants est divisé en 3 : un tapis initial et deux recharges. A tout moment, jusqu'à un certain niveau de blind, le joueur peut se rajouter une recharge, qu'il soit "busté" ou non. Ainsi, celui qui préfère jouer deep-stack commencera avec tous ses jetons, et celui qui préfère jouer short-stack pourra garder une ou deux recharges en assurance.
Bref, un système spécialement conçu pour les fishs...

Le but des organisateurs est clair : se faire le plus d'argent possible en proposant la variante la plus populaire à des buy-in accessibles au plus grand nombre (surtout grâce aux satellites).
Mais après tout, quel mal y-a-t-il à cela ?

Comme nous allons le voir, en devenant une "usine à fishs", les Wold Series ont perdu de leur prestige. Et en particulier le Main Event.

Le succès du Main Event : principale raison de sa déchéance

Tournoi de NLHE à 10.000$ depuis 1972 (le buy-in n'était que de 5.000 en 1971), le Main Event était à l'origine une fabrique à légendes : Johnny Moss, Doyle Brunson, Stu Ungar, Johnny Chan, leurs noms sont connus par tous les joueurs de poker.
Leur point commun ? Ils ont gagné le Main Event à plusieurs (deux ou trois) reprises.
"Gagne le Main Event une fois et on parlera de toi pendant un an ; gagne le Main Event deux fois et on parlera de toi pour toujours"

A ce propos, voici une vidéo datant de 2012, où Phil Ivey demande à un de ses adversaires s'il a déjà joué au poker. Cette question était adressée à Jonathan Duhamel, vainqueur du Main Event en 2010... Anecdote que s'est empressé de relayer sur Twitter Daniel Negreanu (encore lui !)

La taille actuelle des fields interdit toute récidive. Quand Stu Ungar remporta son troisième titre, en 1997, il faisait face à 311 adversaires. Bien que Stu avait un edge énorme, la probabilité qu'il gagne devait être assez faible, disons, au mieux, de l'ordre de 1/20. Le Kid a été chanceux, mais sa victoire était plausible.
Mais si le "joueur-né" avait débuté le poker en 2006, il aurait fait face à 8.773 adversaires ! Même en prenant en compte son edge, on a tout à parier que Stu Ungar n'aurait gagné aucun Main Event...
On peut être quasiment certain que plus personne ne remportera deux fois le Main Event.

Bien sûr, l'augmentation du nombre de joueurs au Main Event est un succès en soi, preuve du gain de popularité du poker. Une autre explication est la baisse du buy-in. Je vous expliquais plus haut que celui-ci n'avait pas bougé depuis 1972, mais il ne faut pas oublier l'inflation : 10.000$ de 1972 équivalent à environ 60.000$ actuels.
A l'époque, seuls de très bons joueurs de Poker pouvaient se permettre de participer, maintenant ce tournoi est accessible à tous (surtout via les satellites), faisant chuter le niveau moyen.

Doit-on encore considérer le Main-Event comme le championnat du Monde de Poker ?
Depuis de nombreuses années, beaucoup de joueurs pros répondent par la négative, et c'est pourquoi naquit le 50.000 H.O.R.S.E en 2006, gagné cette année-là par Chip Reese.
Le buy-in élevé et le nombre de variantes à maîtriser rebutent les amateurs. Le niveau moyen étant très élevé, de nombreux pros, dont Negreanu (toujours lui !) considèrent que c'est ce tournoi qui désigne le meilleur joueur du Monde. En 2010, le 50.000 H.O.R.S.E est passé à un format 8-games et a été rebaptisé The Poker Player's Championship.

Mais ce Main Event officieux n'est reconnu que par les joueurs pros, aussi faut-il songer à une nouvelle formule. Peut être organiser une super-finale avec seulement les détenteurs de bracelets ? (soit ceux gagnés par le passé, soit ceux gagnés dans l'année uniquement)

Avant, le Main Event sacrait le meilleur joueur du Monde. Maintenant il ne consacre que le joueur le plus chanceux. En outre, il est devenu presque impossible de rentrer dans la légende en remportant le titre plus d'une fois.

Les sports ont besoin de légendes pour atteindre le grand public : songez au bien qu'ont apporté les Garry Kasparov, Sebastien Loeb, et autres Tiger Woods à leurs sports respectifs. Le grand public adore les grands champions, ceux qui forment la légende de leur sport, fut-il rébarbatif, car le grand public apprécie le génie avant tout. Malheureusement pour le poker, les WSOP ne récompensent plus les génies...

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