Le donkbet à la turn

Le donkbet à la turn

Freudinou se penche de nouveau sur le donkbet. Cette fois ci, le coach s'intéresse au move au turn. Quand l'effectuer et contre qui ? Avec quels sizing et comment adapter une stratégie à la river ?



Donkbet au turn
 

Fin 2016, j’ai fait l’acquisition d’un logiciel qu’on m’avait recommandé et sur lequel j’étais sceptique : PIO Solver. Il s’agissait d’un logiciel de « calculs GTO », autrement dit un logiciel qui fait plein de calculs compliqués pour nous expliquer comment jouer parfaitement au poker.

Sachez qu’à ce jour, une des activités principales des joueurs de poker online (dont je fais partie) est de faire semblant de comprendre ce que peut bien raconter celui-ci. Parfois, nous avons un éclair de lucidité et nous comprenons véritablement ce qu’il nous dit, ce qui nous fait progresser.

Cette fin d’année s’annonce morose, une nouvelle fois je dois me résoudre au fait que Lady Gaga ne sortira pas un album qui égalera « The Fame Monster »  et petit à petit je me fais à l’idée que ce ne sera sans doute jamais le cas. Ma vie commence à être terne, je suis en manque de nouveautés et en cette matinée de novembre, je lance d’un air ennuyé une simulation avec mon nouveau jouet tout neuf.

Il s’agit d’un coup où  je suis en big blind et je paye une relance du Bouton avec 100 blinds de profondeur. Le flop est et PIO Solver propose que je check avec ma range. Je remarque à peine que ce dernier propose un overbet au flop pour mon opposant, je fais l’hypothèse d’un bug et je relance une simulation avec un continuation bet à ¾ du pot. Il y a un bouton « call », j’appuie dessus pour voir ce qu’on me suggère sur différentes turn et je commence par le , une brique.
C’est alors que je constate que PIO Solver propose de miser directement cette turn à 1/3 pot environ 30 % du temps. « Sorcellerie ! » m’écrie-je derrière mon écran. « Un donk bet ! Une mise d’âne ! ».
Mon sang ne fait qu’un tour, pris de panique et sentant le sol se dérober sous mes pieds, je suis au bord de la folie, à la limite de lancer une série d’expressos et autres SNG Jackpots. Mais je sens que les dieux du poker me soumettent à l’épreuve, je sors faire une balade dans un parc situé à côté de chez moi voir mon ami Alfred, un canard de Barbarie qui vit sur les terres tumultueuses du Vésinet et qui sera à même de me faire trouver l’apaisement dont j’ai besoin afin de comprendre la substantifique moelle de ce coup mystérieux. 


A mon retour, j’y regarde de plus prêt et les choses commencent à faire sens, essayant de réfléchir à tout ceci d’un point de vue pratique et humain. Une fois que je paye le flop, je vais me retrouver sur la plupart des turns avec la meilleure équité. En effet, je ne paye pas la mise de mon adversaire avec rien, surtout sur un tel sizing (taille de mise) tandis qu’il sera tenté d’avoir une certaine quantité de mains plutôt moyennes, voire franchement mauvaises afin de me mettre en difficulté. avec un un backdoor couleur et quinte est tentant à miser par exemple de son côté, beaucoup moins à payer du mien hors de position sur une telle mise.


Quand vient ce à la turn, il s’agit d’une brique. Ayant la meilleure équité, il ne me semble pas délirant d’avoir à l’idée que de l’argent doit aller dans le pot. Or, notre adversaire va-t-il vraiment souvent miser ici ? Va-t-il être coopératif et avoir comme ligne directrice d’investir ? Assurément non, la plupart de ses bluffs n’ont pas amélioré.
Pire, même un tirage couleur pourrait se dire que finalement, sur cette brique, il y a peu de chance que je fold et décider de checker. Une idée tout à fait intolérable si nous avons QT par exemple. C’est pourquoi nous devrions sérieusement songer à reprendre le lead, autrement dit à donk bet et c’est exactement ce que propose le logiciel. Je vais inviter cordialement l’adversaire à mettre l’argent qu’il ne souhaitait pas mettre avec mes Q même avec un mauvais kicker, le logiciel propose même de miser certains J et en bluffs j’aurai des tirages comme , .

Attention à ne pas miser toutes les combinaisons de ces mains, il faut en conserver afin de protéger un minimum la range de check. Notons que finalement, la logique qui veut qu’un tel move s’appelle un donk bet (une mise d’âne), ne s’applique pas. En effet, ce move porte ce nom en partie car si nous avons une bonne main, nous avons tout intérêt à checker pour laisser l’adversaire bluffer. En misant directement, nous ne lui permettons pas de faire cette erreur. Seulement ici, l’adversaire ne comptait pas vraiment miser avec de mauvaises mains, la logique qui donne cette appellation ne s’applique pas par conséquent.


Je vous propose à présent deux autres situations pour vous familiariser un peu plus avec cette approche.


Nous sommes en NL 100 et nous ouvrons à 2,5 € au Cut-off. Un joueur régulier peu créatif décide de nous 3bet au bouton avec une range linéaire à 9 €. Nous payons. Nous estimons sa range à AA-99,AKo-AJo,KQo-KJo,AKs-ATs,KQs-KJs,QJs,JTs, avec des fréquences sur certaines mains (autrement dit, il ne 3bet pas forcément KJo 100 % du temps). Notre range de call ressemble à AA-22,AKo-AQo,AKs-AJs,A5s-A2s,KQs,JTs-J9s,T9s-T8s,98s,87s,76s,65s, avec des fréquences également, par exemple QQ+/AK n’est payé que 25 % du temps afin de renforcer notre range délicate à jouer hors de position.


Le flop vient et le pot fait 19,5 €. L’adversaire décide de mettre la pression avec un continuation bet à ¾ du pot. Nous payons avec toutes nos paires et mieux, tirages, AK ainsi que AQs à backdoors. La turn est un et le pot fait 49 €. L’adversaire s’est permis de miser environ 50 % de sa range au flop. Bien entendu avec des overpaires mais également des overcards qui sont nombreuses chez lui. Sur cette turn, on ne peut pas vraiment dire que ce T percute sa range et notre équité tournera autour des 60 %. Nous avons la meilleure range. La question à nous poser est : vilain va-t-il continuer à miser ses bluffs ? On ne peut pas vraiment dire que ce T constitue une scare card pour nous et quasiment aucun de ses bluffs n’a amélioré. Il y a donc fort à parier qu’il ne mise que modérément, ce que nous ne pouvons tolérer. C’est pourquoi nous devrions sérieusement penser à donk bet cette turn avec nos sets, overpaires et bien entendu des bluffs comme A5s/A3s. Un petit sizing mettra en difficulté vilain qui se trouvera contraint de payer des overcards pour ne pas trop folder.


Un autre coup assez classique, nous ouvrons au Cut-off à 2,5 € et le bouton, un joueur sérieux, paye. Le flop est pour un pot de 6,5 €. Nous avons en main et nous décidons de checker. Une ligne de jeu logique, sur ce genre de texture, nous allons avoir les pires peines du monde à réaliser l’équité de nos mains et il n’est pas rare de devoir checker une bonne partie de notre range et parfois même toute notre range. Vilain ne se fait pas prier et mise 1/3 du pot, une mise sur laquelle nous allons devoir défendre une grosse portion de nos mains et Ac 7c en fait partie. La turn est un 7d et à nouveau, l’option de donk bet 1/3 du pot doit être prise au sérieuse. Il ne s’agit pas d’une carte propice à bluffer pour l’adversaire et elle nous arrange puisque nous allons typiquement check/call au flop des mains moyennes comme des 7 pour attraper les bluffs adverses. Notez que les doublettes sont également des cartes typiques à donk bet. Ajoutons à cela que nous avons à présent la meilleure équité avec notre range, il est logique de souhaiter que de l’argent aille dans le pot et il n’est pas certain que notre adversaire soit de cet avis.



L’après donk bet turn
 

Quand vous allez jouer contre des joueurs réguliers des milliers de mains, ces derniers vont comprendre que votre range de donk bet turn a des mains de value et de bluff. Ils pourraient se mettre à payer et vous attendre à la river. Il faut donc prévoir des stratégies un peu plus avancées et bien entendu prêter garde à ne pas devenir trop déséquilibré sur vos bluffs.

La première stratégie consiste bien évidemment à checker certaines mains fortes, particulièrement sur des textures de board où il existe des tirages ratés pour votre adversaire. Si nous prenons notre dernier exemple, checker quelques brelans river fait du sens, notre ami du jour pourra penser à sauver ses tirages, souvent en misant cher et vous l’attendrez avec un check/raise. Vous pouvez également penser à miser de nouveau 1/3 pot ce même brelan.
Cela obligera votre adversaire à payer avec beaucoup de mains, parfois des 3ème paires mais surtout, il pourrait interpréter cela comme une forme de blocking bet et vous relancer aussi bien avec des bonnes mains (battues) et des tirages ratés. Si vous devez bluffer, il n’y pas de règles absolues mais bien entendu, bloquer les bluffcatchers et ne pas bloquer la folding range (par exemple les tirages ratés) restent de bonnes idées.



Quelques recommandations sur les sizings


Dans la plupart des cas, un solver vous proposera des petits sizings de donk bet à la turn, à l’exception de certains pots 3bet. Si on réfléchit encore une fois d’un point de vue pratique, cela fait sens. Il faut comprendre le principe de base : sur un petit sizing, l’adversaire devra payer énormément de mains pour vous empêcher de faire un profit immédiat et donc éviter de se faire exploiter.
Cela arrange vos affaires quand vous êtes en train de value thin une top paire ou une seconde paire. Vous obligez l’adversaire à payer des paires faibles voire des tirages suspects ce qui fait que votre seconde paire sera encore devant sur la plupart des rivers. En bluff, sur le papier cela semble également séduisant : si vilain a misé beaucoup de mains au flop, il garde une range large à la turn, cette range peut se retrouver en difficulté à défendre à ce moment là. Dans la pratique, vilain, surtout au début, va souvent interpréter un petit donk bet comme une mise de blocking bet et il pourrait se mettre à relancer excessivement. C’est pourquoi je vous invite à rester ouvert d’esprit concernant vos sizings, n’hésitez pas à mettre parfois ¾ pot voire pot. Vilain restera avec un problème pour gérer sa range large et cela le dissuadera beaucoup plus de relancer. En réalité, si je devais donner un conseil, ce serait de miser 1/3 pot en value les premières fois, ¾ pot ou plus en bluff. Bien évidemment, très vite vous devrez choisir un sizing avec les deux types de mains sous peine d’être lisible et ce sera le plus souvent un petit sizing.


Concernant le point de vue théorique, le solver va souvent proposer quelque chose comme 20/25 % du pot. Pour l’anecdote, dans notre exemple sur le pot 3bet, le logiciel PIO Solver va miser de très nombreuses turns quasiment 100 % du temps avec un sizing de…15 % du pot. A moins d’avoir un bon niveau technique, auquel cas cet article vous semblera superficiel, je vous déconseille de tels sizings à 100 blinds de profondeur. Dans des configurations short stacks, en MTT par exemple, ces sizings peuvent reprendre sens car ils mettent la pression sur l’adversaire en raison des tailles de tapis.
 

Ces dernières années, le donk bet tant décrié a repris du gallon et reste encore peu utilisé. C’est un move qui est déroutant non seulement d’un point de vue technique mais également d’un point de vue mental. Si vous l’insérez dans votre arsenal tactique tout en l’ayant travaillé auparavant, il y a fort à parier qu’avant des limites assez haute, votre adversaire fasse de lourdes erreurs non seulement techniques mais également mentales car il va vouloir punir votre mise d’âne. Nous finirons donc par une note culturelle afin de briller lors de vos soirées cash game : d’après la très noble encyclopédie Wikipédia, en Egypte, l’âne était associé au dieu Seth, le dieu de la confusion, du désordre et de la perturbation.

 

Mickaël « Freudinou » Antic

 

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Présentation de Freudinou


Joueur de poker professionnel et coach sur Poker Académie depuis 2013, Freudinou a coaché à ce jour plus de 150 joueurs dont certains sont aujourd’hui professionnels. Il peut coacher des joueurs jusqu’en NL 30, son approche se veut construite et organisée. Psychologue de formation, l’aspect mental du jeu, encore bien souvent négligé, fait partie intégrante de ses coachings. Il a également une bonne maîtrise des logiciels poker (Trackers, Flopzilla, PIO Solver…). Pour plus d'informations, cliquer sur sa fiche coach.

 

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