- 23 janvier 2013
- petiteglise
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Il ne suffit pas d’être un bon joueur de poker, il faut aussi bien jouer. Découvrez la notion de A-game, la différence entre un tueur et bon joueur, celle entre un amateur et un looser, et comment optimiser votre motivation, votre concentration et votre forme, afin de toujours jouer à votre meilleur niveau.
Retrouvez la suite de cet article : Motivation au poker : comment jouer à son meilleur niveau
Définition du A-game
Le A-game est habituellement défini comme « le meilleur niveau accessible à un joueur ». Bien qu’assez intuitive, cette définition me semble trop vague pour être utile, aussi je me permets d’en proposer une autre :
Le A-game est le niveau (l’intervalle de niveaux) en dessous duquel le joueur ne voudrait pas jouer.
Prenons l’exemple d’un joueur qui a un winrate horaire moyen de 30€/h (on pourrait raisonner également en bb/100 si le joueur ne joue qu’en cg à une seule limite). Au top de sa forme, il peut jouer à un niveau de 50€/h (aussi bien qu’un joueur au winrate horaire moyen de 50€/h). Définir le A-game de ce joueur comme ce niveau précis de 50€/h n’a aucun intérêt pratique, il faut une limite basse, mais laquelle ? 49€/h ? 20€/h ? 0€/h ? C’est au joueur de la fixer. S’il ne veut pas jouer au poker pour moins de 10€/h alors son A-game est l’ensemble des niveaux de jeu au-dessus de 10€/h. Le A-game est donc un intervalle de niveaux.
On peut donc jouer gagnant mais en dessous de son A-game.
A-game et variance
Jouer à un niveau de x€/h signifie que, si l’on joue continuellement à ce niveau, notre gain horaire tendra vers x. Bien évidemment, sur une session d’une heure, la probabilité que l’on gagne exactement x est infime, à cause de la variance. Dans ces conditions, comment savoir à quel niveau l’on joue, au moment où l’on joue ? Le Ev adjusted winrate donne une indication plus précise que le winrate mais ne saurait pas suffire. L’objectivité quant à son niveau de jeu est un skill à acquérir et développer. De manière générale, un bon joueur saura être plus objectif quant à son niveau qu’un mauvais. Le fish de base sera uniquement result-oriented : « je gagne => je joue bien » Pour les autres joueurs, il est très facile de se situer lorsqu’ils sont dans une situation extrême, qu’elle soit positive (top de la forme) ou négative (tilt, épuisement, haute alcoolémie, etc), mais plus difficile lorsqu’ils sont dans une situation intermédiaire. Cette connaissance de soi-même se travaille et ne peut s’acquérir que par une analyse systématique et objective de ses mains. Je pense qu’il est naturel de surestimer son niveau de jeu, ainsi, lorsqu’on se dit que « je serais peut-être éventuellement en train de jouer légèrement en dessous de mon A-game » alors, il est certain que c’est le cas…
Règle fondamentale du A-game
Lorsque l’on joue son A-game, il faut continuer à jouer ; lorsque l’on joue en dessous de son A-game, il faut arrêter de jouer.
Cette règle peut sembler évidente, mais elle n’est pas respectée par nombre de joueurs, surtout des débutants, mais aussi de très bons joueurs.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce constat est aussi valable dans bien des domaines. Ainsi, des études ont été consacrées aux chauffeurs de taxis. Ils ont un meilleur gain horaire quand il pleut (plus de demande et donc moins d’attente à vide = A-game). On pourrait donc s’attendre à ce que les taxis travaillent plus les jours de pluie et profitent des jours ensoleillés pour se reposer. C’est pourtant l’inverse que font la majorité d’entre eux : ils ont en tête un objectif quotidien basé sur leur revenu mensuel. Lorsqu’ils atteignent cet objectif après quelques heures de travail sous la pluie, ils s’arrêtent. Et lorsqu’il fait beau, ils vont travailler durant énormément de temps à un moindre rendement, pour finir par atteindre leur bénéfice espéré. Au final, ils travaillent plus lorsqu’ils gagnent le moins…
Il en va de même pour les traders débutants, dont une des principales erreurs est de retirer leurs gains trop rapidement des placements gagnants et faire perdurer trop longtemps leurs placements perdants : ils privilégient ce qui perd à ce qui gagne.
Le poker n’est pas différent : on verra souvent des fishs arrêter de jouer rapidement après une courte et bonne session positive « je suis content de moi, j’ai bien joué, gagné 2 caves en 20minutes, je m’arrête là» Analysons cette phrase : on remarque tout d’abord que le fish est result-oriented, mais si l’on admet qu’il a effectivement bien joué, alors il faut se demander « mais pourquoi arrêter s’il joue son A-game ?! » A l’opposé, on entendra aussi souvent un autre fish dire « vas-y, je suis en tilt, je recave ! ». Cela se passe de commentaire, il sait qu’il est en tilt, qu’il va jouer son « Z-game », mais il se refuse à arrêter de jouer. Je m'autorise donc la conclusion suivante :
Non seulement les fishs ont un A-game bas, mais de plus, ils ne joueront que rarement leur A-game.
Les pros ont un A-game élevé, et de plus, ils ne joueront que rarement en dessous de leur A-game.
A-game et style de joueurs
Tout le monde connait la distinction de style large/serré et agressif/passif. Je vous propose ici un autre classement des styles de joueurs, en fonction de leur (in)capacité à jouer leur A-game.
Les tueurs.
Le meilleur style possible, en termes de rentabilité, celui de la majorité des grands noms du poker, dont Phil Ivey est, il me semble, un parangon. Le tueur est toujours à fond, concentration et motivation optimales, dans les petits coups et même dans les mains qu’il ne joue pas. Il recherche la destruction (du stack et aussi de l’ego) de l’adversaire. Craint par les autres, le tueur joue (presque) toujours à son top niveau.
Les bons joueurs.
Un cran en dessous du tueur, le bon joueur, comme son nom l’indique, cherche plus à bien jouer qu’à détruire l’adversaire. Cela génère une légère différence, par exemple dans les petits coups où le bon joueur sera moins motivé et moins concentré que dans les gros pots, et donc moins qu’un tueur.
Les blasés.
On va trouver beaucoup de blasés parmi les ex-regs, globalement lassés par le jeu. Le blasé joue « en mode pilote automatique » la majorité de ses coups. Il ne se rappelle qu’il aime le poker, en tous cas qu’il adore gagner de l’argent et déteste en perdre, que lors de trop rares occasions, des gros pots par exemple. Seulement là, il arrivera à recouvrer concentration et motivation, à hausser son niveau de jeu.
Les amateurs.
Ce sont les adeptes de la maxime du Baron Pierre de Coubertin : « l’important c’est de participer ». Ils jouent au poker pour s’amuser, peu importe qu’ils gagnent ou qu’ils perdent. D’un point de vue du bonheur, cette mentalité est respectable, peut-être même la meilleure, mais elle est catastrophique au niveau de la rentabilité. Néanmoins, il existe une classe de joueurs pire encore…
Les loosers.
Les loosers aiment et désirent perdre. Et ils sont bien plus nombreux qu’on ne pourrait le penser a priori. Dans la défaite, ils recherchent des bénéfices compensatoires comme se plaindre et surtout être plaints. Les loosers de la vie de tous les jours sont ces gens qui se larmoient sans cesse de leur existence, sans jamais rien faire pour l’améliorer. Ils se lamentent « je suis célibataire, c’est horrible ; j’ai un métier pourri ; j’aime pas mon appart ; je ne supporte plus ma ville ; etc etc » et n’entreprennent strictement rien pour changer. Car ils se nourrissent de ces bénéfices compensatoires, de ces « oh mon pauvre, tu n’as vraiment pas de chance ». Au poker, les loosers sont ceux qui, par exemple, vont payer perdant un tapis à la river avec juste leur pocket-paire d’As, en sachant pourtant que l’adversaire à au grand minimum brelan, probablement quinte ou flush. Ils préfèrent en effet perdre leur tapis et gémir « je me suis encore fait casser les as » que de ne rien perdre… D’ailleurs, ils ne tarderont pas à dire au plus de monde possible qu’ils ont une nouvelle fois perdu avec AA, dans l’espoir qu’on les plaigne. Les loosers appartiennent à la pire catégorie de joueurs possible.
Ce classement des joueurs ne prétend pas être exhaustif, on pourrait imaginer des sous-catégories voire même de nouvelles catégories. Il est de plus perméable. Un ex-pro blasé peut par exemple redevenir un véritable tueur lors d’un tournoi majeur. Et un tueur pourrait redevenir amateur lors d’une session à faible enjeu ou d'une soirée poker entre potes. Il présente par contre l’avantage de ne pas être spécifique au poker et pourrait être utilisé dans d’autre jeux ou sports. De plus, il est indépendant du niveau maximal de chaque joueur, les classant uniquement en fonction de leur capacité à pratiquer ce meilleur niveau. Ainsi, un joueur peut être un tueur dès l’instant où il apprend les règles. Il jouera mal par manque de connaissances, mais sera « à fond » lors de tous les coups. Evidemment, la proportion de tueurs et de bons joueurs augmente quand les limites augmentent.
Ce premier article est en fait une (longue mais nécessaire) introduction au prochain, lequel sera consacré à trois points essentiels : la motivation, la concentration et la forme. Nous verrons comment optimiser chacun de ces trois éléments cruciaux. Un joueur en forme, bien concentré et motivé, jouera mieux que bien des joueurs ayant plus de skill mais qui ne joueraient pas leur A-game. Il est donc au moins aussi important d’améliorer sa capacité à jouer son A-game que son skill et j’espère que la lecture de cet article et du suivant vous sera Ev+.
NB : j'ai une assez longue expérience de coaching, non pas au poker, mais au jeu d'échecs, ayant formé, entraîné et coaché notamment plusieurs champions de France jeunes ou encore l'équipe championne de France féminine. C'est principalement de cette expérience que me viennent mes réflexions. Evidemment, j'ai pris soin de les reconsidérer et de les adapter au poker avant de vous les présenter.