J’aimerais aborder avec vous un leak récurrent chez les joueurs de poker et que nous pouvons retrouver à tous les niveaux : les conduites d’évitement. Par conduite d’évitement, j’entends la crainte, parfois irrationnelle, déclenchée par certaines situations spécifiques qui vont amener le joueur à les éviter.
Dans la majorité des cas, elles ont des causes à priori diamétralement opposées mais le plus souvent liées dans les faits : l’expérience et l’inexpérience.
L’expérience car l’accumulation de certaines situations déplaisantes vont vous amener à les éviter. L’inexpérience car vous ne savez peut-être pas encore que ces situations que vous subissez ne sont que la norme au poker ou bien encore que le déplaisir que vous éprouvez est la conséquence de la méconnaissance de ces situations qui vous mettent en difficulté.
Quelques exemples concrets
Lorsque vous essayez pour la quatrième fois de vous installer à une limite, l’accumulation des mauvaises expériences et la crainte de les voir se répéter vont influencer négativement votre jeu. Certes, d’un strict point de vue objectif, peut-être jouez-vous ce qu’on pourrait appeler un A-game. Mais vous ne jouez pas VOTRE A-game. Ces mauvaises expériences peuvent vous empêcher de faire ces moves qui faisaient votre force aux limites inférieures, comme ce petit overbet river de temps à autre ou ce push avec K7s au CO, ce qui vous aurait fait gagner de précieuses blinds…et qui sait, vous aurait permis de durer assez longtemps à la limite pour « sortir » de ce fameux bad run qui vous colle. Le fait aussi d’être inexpérimenté à cette nouvelle limite et donc d’avoir un niveau fragile font que votre winrate sera très sensible aux mauvaises variations.
Un autre exemple concerne les mains ou situations de jeu : vous recevez QQ et votre réaction est : « Rhalala les QQ, j’aime pas cette main. Bon je vais 3bet. Ca passe ? Ouf ! ». Cette crainte possède deux fondements. Pour commencer, il est tout à fait possible que vous ayez eus disons…certaines expériences négatives. Si on ajoute cela au fait que vous n’avez pas étudié de manière précise comment jouer cette main, l’expérience des bad beats couplée à l’inexpérience du jeu font que vous adopterez une conduite d’évitement dans cette situation. Pourtant, personne n’est jamais mort pour avoir joué avec une paire de dames (au poker en tout cas…).
Comment se manifestent ces conduites ?
La liste n’est pas exhaustive mais je pense qu’on peut faire ressortir quatre types de comportements :
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Le renoncement à la situation : c’est très simple, vous avez renoncé à jouer à la limite qui ne veut pas de vous ou vous cliquez plus vite que votre ombre sur fold lorsque vous recevez la main maudite. S’il s’agit d’une situation de jeu plus précise, par exemple une top paire mal kickée, toutes les raisons seront bonnes pour folder et votre adversaire sera souvent ravi de vous en fournir une.
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Les aménagements : vous n’avez pas renoncé à la situation mais vous suivez un même schéma qui vous rassure. Par exemple : « s’il mise cher ici je fold », « je cbet une fois et j’arrête », « A –2 caves j’arrête (même si la table est rempli de récréatif) », etc.
- Les stratagèmes rassurants : vous ne jouez que si on vous rail, vous avez 53 tableaux ouverts sur 6 écrans en même temps que vous jouez, 1 pot gagné/un verre, etc. Ces stratégies ne sont pas des non sens, elles peuvent aider à sortir de ces situations à condition de ne pas les intégrer à tout le système…
- La conduite à risque : c’est une manière paradoxale mais on va parfois utiliser comme défense le penchant opposé, c’est-à-dire le risque. JJ n’est plus une main à folder mais est devenu au contraire une main à 5bet et à transformer en bluff. Vous allez aussi jouer under rollé à la limite du dessus ou encore arriver aux tables en décidant que vous êtes le top reg de cette limite (les 5mn où vous resterez…). C’est une manière d’éviter la situation en ne vous y engageant pas réellement (c’est un peu comme rater un examen parce qu’on a fait la fête toute la nuit…je l’ai raté parce que j’ai fait la fête mais sûr que je l’aurais eu sinon…).
Si nous résumons, nous allons ériger comme centralité une certaine situation qui nous apparaît déplaisante et nous allons nous tenir à l’écart de cette dernière. Paradoxalement, je pense que le fait d’avoir conscience de ce déplaisir est une bonne chose car le pire qui puisse arriver, c’est que tout ceci devienne un automatisme auquel cas vous n’auriez même plus conscience de votre leak. Par exemple faire toujours 1 barrel avec un tirage couleur et s’arrêter, quel que soit l’adversaire ou la situation de jeu.
Comment remédier à ces conduites ?
Dans leurs principes, les techniques pour remédier à ces conduites sont assez simples : s’exposer peu à peu aux situations « anxiogènes » et les rationnaliser. Dans la pratique, les choses sont bien entendu toujours plus compliquées. Il y a également une différence entre un joueur débutant et un joueur ayant plusieurs centaines de milliers de mains à son actif. Dans la majorité des cas, je pense que l’étude du jeu, l’accumulation de l’expérience et un certain appui suffiront naturellement à remédier à ces conduites. Par exemple, il faut comprendre que perdre le coup avec AK, si on considère qu’on va toucher 1 fois sur 3 une paire, constitue la norme et non l’exception. Il ne faut donc pas s’attacher à la valeur absolue de cette main mais considérer sa valeur relative et comprendre qu’on ne veut pas gagner le plus de pots possibles mais les plus gros pots. De même, on ne va plus craindre une overcard avec JJ lorsqu’on comprendra que cela arrivera plus d’une fois sur deux. Il nous reste alors à étudier les différentes manières dont on va jouer cette main suivant les boards et les profils, nous serons alors toujours en terrain connu. L’apport d’un coach qu’il soit mental ou technique peut constituer une aide précieuse mais n’est bien entendu pas obligatoire. Partager son expérience dans un groupe ou sur les forums peut aider, surtout si on a du mal à franchir une limite. Je pense que le plus important dans ces situations est de ne pas se retrouver seul et d’avoir une source qui nous indique la « voie de la raison ».
Les limites du coaching et des forums
Nous ne sommes pas (encore) des robots lorsque nous jouons au poker. D’une manière ou d’une autre, notre personnalité s’exprime dans ce jeu. Prenons un exemple : vous avez du mal à joueur certaines situations où votre tapis est en jeu, par exemple relancer un tirage. En regardant des vidéos puis en postant quelques mains sur les forums, même si vous n’êtes pas toujours à l’aise, vous finissez par arriver à jouer convenablement ces mains. Quelques semaines plus tard, vous vous rendez-compte que vous êtes incapable de payer un gros bet à la river et que vous n’ouvrez plus les tables durant des jours dès que vous perdez quelques caves. Vous décidez de prendre un coach mental qui va vous aider à lutter contre certaines croyances irrationnelles et à accepter la variance du jeu. Ce coaching porte ses fruits, néanmoins, quelque chose fait que décidément, ce jeu que vous aimez tant n’est pas facile tous les jours et de nouveaux leaks apparaissent ou reviennent.
La réalité, c’est que le fondement de votre personnalité est peut-être d’être quelqu’un de prudent. Ce n’est pas un défaut, c’est même une qualité au poker : vous réfléchissez mûrement vos décisions. Cependant, vous devez comprendre qu’il y a un travail à faire et qui ne pourra être fait par l’intermédiaire d’un coaching car il touche le domaine de l’intime. C’est-à-dire comprendre pourquoi vous jouez et comprendre qu’il y a des incompatibilités entre votre personnalité et ce jeu qui comporte une prise de risque en son essence. Il s’agit en quelque sorte de renoncer à une certaine part de votre personnalité tout en utilisant une autre part : le fait que vous prenez des décisions rationnelles et réfléchies. Vous devez également comprendre que peut-être utilisez-vous ce mode de pensée car vous aimez contrôler les choses et ne souhaitez pas être surpris, ce qui est antinomique avec le poker. Si vous voulez continuer à prendre du plaisir au poker, vous allez donc devoir vous remettre en question au-delà du jeu lui-même et faire évoluer la manière dont votre personnalité s’exprime dans ce jeu.
L’exemple de la personnalité prudente n’est bien entendu qu’un exemple parmi d’autres, ce que je souhaite souligner, c’est qu’il faut aller parfois un peu au-delà du poker pour jouer son A-game. L’avantage, c’est que la pratique aussi va influencer cette personnalité. Autrement dit, le fait de constater qu’en travaillant son jeu et qu’en prenant des risques on arrive à avoir des résultats, va aussi influencer votre vision du jeu et votre personnalité.
Le but de ce petit article est avant tout d’aider à la prise de conscience qui est une étape essentielle pour faire évoluer les choses. Je suis de ceux qui pensent qu’une fois que la motivation et l’objectivité sont là, le reste n’est qu’une question de temps et de travail.
PS : certains des joueurs que je coache ou avec qui je discute pourraient avoir la désagréable sensation que je les ai pris en sujet d’étude ici. La réponse est oui et non. Oui car il est évident que je propose des hypothèses à partir de ce que j’ai pu observer. Non car en fait, je ne crois pas avoir rencontré un seul joueur qui ne possède pas ce leak (moi le premier)…
Voilà, j’ai essayé de proposer quelques hypothèses et remarques, j’espère que vous m’aiderez à affiner ma vision des choses.