(première partie)
Il y a quelques jours, notre Basou national publiait un petit billet narrant ses mésaventures à l’ACF face à un certain David Benyamine. http://blog.eurosportpoker.fr/hp-infos/mauvais-feeling
On sera à peu près tous d’accord pour dire que DB est au Poker français ce que Michèle Torr est à la chanson française, ou David Beckham au foot : une légende vivante.
Conséquence, le site Poker Bastard s’en prenait dès le lendemain au petit prince de l’overbet, lui reprochant son crime de lèse-majesté. Avec pour argument massue le fait que le palmarès et la ligne hendonmob de l’insolent ne pèse pas lourd face au High Staker français le plus célèbre.
Basil "Basou" Yaiche a pris la grosse tête? - Poker Bastards
Parallèlement, sur club-poker, Roger Hareibedian - alias Big Roger - un autre poids lourd du poker français, se chamaille depuis plusieurs mois avec la moitié du forum pour savoir qui a la plus grosse. Quelques révélations de BIG ROGER - Actualité du poker - Club Poker
Dans les deux cas, on retrouve quelques tendances très marquées dans le milieu du poker:
1/ La totale surestimation des tournois pour juger le niveau d’un joueur.
2/ La surestimation de la valeur des joueurs de High Stake.
3/ La surestimation des joueurs vis-à-vis d’eux-mêmes.
Bon, je vais peut-être jeter un petit pavé dans la mare, et même me faire quelques amis prestigieux. Mais je vais vous livrer sans langue de bois le fond de ma pensée… tel un Eloi Relange totalement deshinibé par quelques verres de cidres brut, un soir de podcast face à Michel Abecassis.
Revenons un instant sur le petit article, assez sympa à lire ma foi, de Basou. Le grand manitou du 3-barrel bluff estime en gros que le jeu et le niveau de jeu de David Benyamine n’a guère évolué. Et qu’il a vraiment mal joué le coup en question. On serre les dents et on compatit au passage pour Basou, qui prend cher dans tous les sens du terme en encaissant là un double bad beat assez vilain… Ce qui est un pléonasme.
Mais ne tournons plus autour du pot. Sur ces deux points, je ne peux que partager l’avis du jeune éphèbe. Oui, David a vraiment mal joué le coup ici, tant preflop que postflop, aussi deep. Et oui, le jeu de David (en NLHoldem) « n’a pas évolué » ces dernières années, pour reprendre les termes de Basou. J’irai même plus loin : il y a, ne serait-ce qu’en France, plusieurs dizaines de joueurs qui sont intrinsèquement supérieurs à Benyamine dans cette variante reine.
Je vous vois déjà venir. Certains d’entre vous doivent marmonner en lisant ces lignes quelque chose du genre : « Mais… euh… et le palmarès de Benyamine… et les millions de dollars qu’il a empochés en tournoi ?! ». Et là, je vous réponds illico : « On s’en fout, on s’en contrebalance, on se le passe par la doublure des testicules, not give a shit (pour les bilingues) ! »
D’abord, et il n’est pas nécessaire d’avoir fait math sup pour s’en douter, parce qu’un joueur qui participe depuis plusieurs années aux plus grands tournois internationaux étoffera plus facilement son palmarès par rapport à un joueur qui n’en dispute aucun ou qui en joue depuis peu.
Ensuite, parce que les sommes bruts gagnées en tournoi déterminent difficilement la valeur d’un joueur. Vous pouvez récolter 80 000 dollars en tournoi dans l’année. Mais si, dans les même temps, les buy-ins vous ont coûté 120 000 dollars… Au poker, comme dans le business, le chiffre d’affaire d’une entreprise n’indique pas si elle réalise des bénéfices. En d’autres termes, il peut être plus rentable de diriger une sandwicherie plutôt qu’Eurotunnel. J’ai toujours trouvé dommage que dans les émissions ou les magazines de poker, on se contente de dévoiler les gains d’un joueur en guise de palmarès. Cela n’a guère d’intérêt et ne nous indique pas s’il s’agit d’un joueur intrinsèquement gagnant. Pour cela, seul le Roi nous le dit.
Enfin, et histoire de me faire de nouveaux amis, parce que les tournois sont loin d’être la meilleure façon d’évaluer un joueur de poker. A fortiori en live. Vu la variance énorme, la part prépondérante de la chance, il faudrait facilement toute une vie pour juger avec un minimum d’acuité quelqu’un qui disputerait une quinzaine de tournois live par an.
Sur club-poker, Roger Hareibeidian se vante d’être en tête du classement Live Poker, lequel étalonne les joueurs français en fonction de leur gains en tournoi live. Là encore je vais être un peu brut de décoffrage, mais ce classement présente objectivement un intérêt proche du néant. Il ne dévoile pas vraiment le meilleur d’entre nous, mais plutôt celui qui a joué le plus de tournois et/ou celui qui a eu le plus de fion. Surtout quand on sait que les tournois se jouent au final la plupart du temps sur 2-3 coins flips ou 2-3 set up favorables ou non. J’aime bien citer cette phrase de Ludovic Lacay (alias SirCuts) qui, je crois, a écrit un jour : « Les tournois, c’est comme le loto, sauf que les meilleurs joueurs peuvent tirer un ou deux numéros en plus. »
Un classement qui, de fait, privilégie la quantité par rapport à la qualité. Si vous participez à 10 tournois dans l’année au lieu de 2, vous augmentez par 5 vos chances de bien figurer. C’est un peu comme donner 3 flèches à un archer et 45 flèches à un second archer, et prétendre que ce dernier est meilleur parce qu’il a planté 15 flèches au cœur de la cible alors que l’autre n’en a mis que 2.
Roger, qui est une sorte de stakhanoviste français du poker live, puisque il écume un maximum de tournois, est régulièrement au sommet des classements annuels en terme de gain. Pourtant, il y a sans doute une bonne centaine de joueurs, en France, qui lui sont intrinsèquement supérieurs. Notez bien que cela n’a rien d’infamant et que cela ne signifie pas que Big Roger soit un mauvais joueur. Se situer aux alentours de la 100e place en France dans n’importe quelle discipline, cela dénote un indéniable talent. J’ai partagé à au moins trois reprises sa table en tournoi et ce vieux briscard démontre d’indéniables qualités en terme de lecture du jeu. Il sait également, contrairement à bien d’autres, se montrer patient. Sur un plan technique, c’est en revanche déjà plus discutable. Une légende prétend même que Roger aurait surrelancé à tapis preflop au début d’un grand tournoi, 400 BB deep, avec une paire de Dames… Au final, je doute que notre homme puisse être durablement gagnant en NL200 sur Internet, en Short Handed…
J’irai encore plus loin (au point où l’on en est). Selon moi, plus de 80 % des joueurs français sponsorisés ne parviennent pas, ou ne parviendraient pas à battre durablement la NL200 online.
Il est de bon ton, sur les forums, de se moquer des rakeback pros, ces joueurs globalement à jeu et qui gagnent de l’argent grâce aux bonus offerts par les rooms. Mais tous ces rakeback pros sont pour la plupart supérieurs aux joueurs français qui font régulièrement la Une des magazines de poker !
Si vous saviez le nombre de pseudos inconnus, que j’ai immédiatement catalogué comme fish après avoir disputé quelques mains onlines… et qui s’avéraient au final être des joueurs « connus ».
Vous en voulez encore ? Alors parlons d’Elky, peut-être le joueur français le plus emblématique. J’entends déjà ses nombreux fans hurler « nooon, pas lui ! ». Nous avons eu l’occasion de recevoir Bertrand l’an dernier dans les locaux de Poker Académie, pour un podcast particulièrement intéressant. Elky est une personne vraiment attachante. Un gars simple (au bon sens du terme) et naturel, une véritable mitraillette intellectuelle. Il n’y a qu’à l’entendre parler ou le voir jouer à Starcraft en appuyant sur toutes les touches du clavier à 10 000 à l’heure… ce gars à quelque chose de génial. C’est assurément l’un des meilleurs joueurs français en tournoi live, où son style agressif combiné à une certaine réussite fonctionnent pour l’instant à merveille. Je n’ajouterai toutefois pas, « comme l’indique son palmarès », pour les raisons que j’ai évoqué au début de ce papier.
Pourtant, notre Elky national ne fait probablement pas partie du Top 50 français en terme de niveau de jeu et n’est sans doute pas gagnant en NL400 online. Ce n’est hélas pas un jugement personnel, mais un fait, comme semble le confirmer PTR.
Or, dans les sondages et les classements organisées fréquemment par les sites où les magazines de poker, Elky, tout comme Roger ou David, font partie des joueurs les plus fréquemment cités… Et la plupart des lecteurs n’y trouvent rien à redire. Etrange non ?
Quoi qu’on en dise, il y a pourtant un moyen quasi imparable de déterminer la valeur intrinsèque d’un joueur de poker. Connaître son winrate en cash game, sur un échantillon représentatif (au minimum 200 000 mains, idéalement plus de 500 000). Et si possible, en ayant accès à sa courbe d’all-in EV, pour pondérer son résultat en fonction de la chance ou malchance éventuelle.
Quelques petites précisions au passage. Les statistiques de l’All-in EV ne sont certes pas la panacée, mais tout de même partiellement représentatives du bol que vous avez eu… ou pas. D’autre facteurs, plus difficilement mesurables, vont impacter sur votre niveau de chance. A commencer par les set-ups rencontrés. Se manger un set over set en sa défaveur, c’est évidemment un signe de malchance dans le sens où tous les jetons étaient vouées à partir au milieu, puisque votre adversaire et vous auraient sans doute joué de la même manière vos deux mains.
Il y a aussi le tirage aléatoire des mains. Il sera beaucoup plus facile d’accumuler les jetons en touchant dix fois de suite AA plutôt que 72o. Dans ce cas précis toutefois, la chance s’équilibre généralement assez rapidement à terme. Contrairement aux sets-ups et à la courbe d’All-in EV, qui peuvent parfois ne se rejoindre qu’après plusieurs années.
Par expérience, sur environ 100 000 mains à une limite donnée, je peux obtenir un winrate 1 à 3 fois supérieur, en fonction de mon taux de chatte ou déchatte rencontré. C’est donc un élément qu’on ne peut et ne doit occulter. Une dernière précision importante : les meilleurs joueurs, même en étant malchanceux, ressortiront forcément positifs d’une session de 200 000 mains, et même de 100 000 mains…