- 18 avril 2016
- flibustier
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Cet article est la deuxième et dernière partie sur le whine au poker. Après s'être intéressé au rapport du joueur par rapport à la chance, Flibustier vous expose les méthodes pour gérer au mieux ses émotions.
Flibustier a participé à la promotion meilleur article du mois, et a remporté le second prix pour 300 PPA
Cet article est la deuxième et dernière partie sur le whine et la chance.
Bien que la lecture de la première partie ne soit pas indispensable pour la compréhension de ce qui suit, si vous avez raté l'épisode précédent vous le trouverez ici.
Dans la partie précédente, on a vu que l'envie de whine touche tous les joueurs et qu'elle venait principalement d'une mauvaise perception de notre chance. Pour remédier à ça on a établit que le plus simple était de juste remplacer cette vision de la variance par une autre et que faute de mieux on pouvait se baser sur notre propre jugement.
Cela étant dis, pour commencer à opérer ce remplacement il va déjà falloir qu'on arrive à s'adresser à notre inconscient et ça peut sembler difficile de prime abord. Il existe en fait de nombreuses méthodes pour le faire, l'hypnose, l'autosuggestion ou la transe méditative en sont quelques unes. Bien que toutes ces méthodes puissent être très intéressantes et efficaces, je ne vais malheureusement pas pouvoir faire un exposé sur chacune. Ici je ne présenterais donc que la méthode des cooldowns, librement inspiré de la description qu'en fait Jared Tendler dans ses ouvrages.
Lire la première partie : le Whine au poker : Quel est notre rapport à la chance ?
La magie de l'écriture
Lorsque j'ai débuté la rédaction de mes premières fiches mentales, j'ai découvert le pouvoir que l'écriture pouvait avoir sur notre gestion des émotions ainsi que pour s'adresser à notre inconscient.
Les adolescentes qui tiennent un journal intime ont compris plus tôt que moi que cette activité leur permettait de rester en contact avec leurs émotions. Cette activité permet un archivage pour mémoire de ces émotions mais également d'évacuer le stress et les tensions qu'elles ont pu provoquer. Faire des cooldowns est en fait assez similaire à la tenue d'un journal intime et sa fonction première et fondamentale est de nous permettre de faire refroidir notre système limbique (responsable de la gestion des émotions). S'il est nécessaire de le refroidir c'est parce qu'il aura généralement beaucoup chauffé durant notre session, d'ailleurs le terme de cooldown n'a probablement pas été choisi par hasard puisqu'il se traduit littéralement par refroidissement en français.
Savoir clôturer une session en notant un maximum d'événements et de constatations à chaud permet de se libérer vraiment l'esprit afin de pouvoir reprendre le cours de nos autres activités. En effet le nombre d'émotions/décisions/réflexions qu'on peut expérimenter sur une table étant très important dans le poker online, si on ne prend pas quelques instants pour s'arrêter dessus on risque fort de ruminer ça dans notre tête pendant un bon moment. Après une session particulièrement mouvementée, il n'est d'ailleurs pas rare d'en perdre complètement le sommeil.
Le fait de rédiger un bref compte rendu de session permet donc d'accorder de l'importance à nos ressentis pour pouvoir plus rapidement s'en détacher et reprendre des activités ordinaires. Cela sert de transition et permet à notre esprit de refroidir plus rapidement et plus efficacement. En arrêtant de réfléchir au poker en dehors des périodes où on joue et où on travaille notre jeu, on récupère de l'énergie pour nos autres activités et on améliore notre expérience du poker.
La magie de l'écriture, 2ème round
L'écriture réserve encore d'autres surprises car elle peut permettre d'accélérer ou de modifier la façon dont nous utilisons nos compétences et nos connaissances.
Pour mieux comprendre comment nous traitons nos compétences par rapport à la hiérarchisation qui s'opère entre notre conscient et notre inconscient, Jared Tendler présente le modèle de l'ALM ("Adult Learning Model" ou "Modèle d'Apprentissage Adulte" en français). Ce modèle propose un pôle allant de l'incompétence inconsciente à la compétence inconsciente et vous en trouverez la présentation complète dans ses ouvrages "The Mental Game of Poker" tome 1 et 2 ("Le Mental au Poker" dans sa version française).
Selon ce modèle on peut transformer une incompétence inconsciente (je ne connais même pas mes lacunes) en incompétence consciente (je sais que ne sais pas) puis en compétence consciente (j'ai appris à faire mais ça n'est pas encore naturel) pour atteindre enfin le saint graal de la compétence inconsciente (je le fais instinctivement sans avoir à y réfléchir).
Si ce cheminement peut sembler compliqué au début, il fonctionne pour tous types de compétences et de maîtrises, les connaissances que nous accumulons au cours de notre apprentissage serons d'ailleurs soumises au même procédé.
Dans notre cas on va donc essayer de transformer une méconnaissance consciente (on sait qu'on ne sait pas évaluer notre chance parce qu'on a lu la première partie de cette article^^) en connaissance inconsciente.
Parler de connaissance est un bien grand mot parce qu'on va la créer à partir de notre jugement à froid, en revoyant notre session longtemps après. Comme nous l'avons vu dans la première partie, il n'existe pas encore de meilleur système pour parfaire la qualité de cette "connaissance" et nous devrons nous en satisfaire car celle-ci sera toujours beaucoup plus pertinente que celle que nous avons durant nos sessions. Pour arriver à remplacer notre méconnaissance consciente par une pseudo connaissance inconsciente, tout ce que nous aurons à faire ici, c'est d'écrire quelques mots en fin de session.
Si vous n'avez pas compris cette section rassurez-vous, l'ALM n'a aucun lien direct avec l'écriture ou les cooldowns. Comprendre le fonctionnement de l'ALM permet de mieux comprendre comment les cooldowns peuvent nous aider mais la compréhension du modèle n'est pas indispensable pour bénéficier de la méthode.
Les cooldowns
Réaliser un cooldown est une opération très simple et très rapide si on a bien préparé à l'avance les points que l'on souhaite travailler. Nous allons donc créer au préalable un tableau suffisamment simple pour qu'on n'ait plus qu'à le remplir après chaque session, vous pouvez le faire dans un tableur, dans l'éditeur de texte de votre choix ou même sur une feuille de papier. L'important sera surtout de le remplir tout de suite après avoir fermé votre dernière table.
Si l'on souhaite travailler notre rapport à la chance, il va donc nous falloir au minimum 3 champs :
- la date. On va souvent vouloir revenir sur nos notes donc il est important de ne pas l'oublier. Si vous mixez plusieurs formats durant vos sessions, vous pouvez vouloir les différencier facilement et l'ajout d'un champ format peut également s'avérer utile.
- la variance observée. Estimez-vous avoir été chanceux ou au contraire avoir été du mauvais coté de la variance ? Essayez de détailler votre ressenti en décrivant un maximum les événements tels que vous les avez perçu. Préférez des phrases comme : "perdu tous mes flips, très peu hit les boards et gagné 2 setups" à "plutôt malchanceux dans l'ensemble". Évitez également de vous contenter de mettre une note sur votre chance aux tables. Prenez au contraire l'habitude de vous remémorer tous les coups notables rapidement afin de voir les influences négatives mais également positives de la variance.
- le résultat de la session. Pour du cash game vous pouvez juste indiquer vos gains/pertes et les places où vous avez fini pour des tournois. Cette phase peut être considérée comme optionnelle parce qu'on retrouve cette information dans notre tracker mais elle permet de se libérer l'esprit sur nos résultats bruts.
Nous avons donc maintenant un tableau qui ne devrait pas prendre plus de 2 minutes à remplir parce qu'il s'agit évidemment d'une version extrêmement basique et simplifiée. Nous verrons dans la prochaine section comment améliorer cette ébauche de cooldown mais pour le problème qui nous intéresse cela sera déjà suffisant.
Plus tard il ne faudra pas oublier la deuxième étape, celle de la confrontation entre votre jugement à chaud et à froid. En effet lorsque vous notez vos impressions juste après votre session, vous êtes toujours en lien avec vos émotions ingame et votre descriptif de la variance devrait être très influencé par votre inconscient, surtout dans les premiers temps. A contrario, lorsque vous analysez une session longtemps après l'avoir jouée, vous n'êtes plus dans l'affect et allez pouvoir donner une évaluation beaucoup plus objective. Il va alors devenir intéressant de confronter cette nouvelle évaluation avec celle qu'on avait noté durant notre cooldown et vous pouvez intégrer cette étape durant votre review de la semaine ou du mois.
Il n'y a pas vraiment de meilleur moment pour le faire mais il faut s'assurer qu'il s'est écoulé assez de temps entre notre pratique et celui de l'analyse détaillée, généralement une semaine d'écart devrait être suffisant. Quand vous constatez des différences entre votre 2ème évaluation et celle de votre cooldown, il est important de modifier votre fichier en notant précisément tout ce qui n'est pas conforme à votre 1ère évaluation. De cette façon, vous allez prendre pleinement conscience de toutes ces différences et vos évaluations à chaud devraient progressivement se transformer pour ressembler davantage à celle que vous réalisez à froid.
Aller plus loin et continuer de s'améliorer
Nous avons maintenant notre tout premier cooldown mais il est encore très sommaire, avec toutes les possibilités qu'offre cette méthode il est dommage de se contenter de ne travailler que notre rapport à la chance. Puisque notre cooldown ne nous prend que 2 minutes de notre temps en fin de session, nous ne devrions pas avoir peur d'en augmenter la portée et de rajouter des champs pour travailler tous les points qui nous permettrons d'être de meilleurs joueurs de poker.
- L'élément le plus important à rajouter est sans doute celui de la qualité de notre jeu. Avons-nous joué toute notre session dans notre A-game ou plutôt dans notre B-game ? Avons-nous eu des périodes de C-game et combien de temps ont-elles durées ? Savoir évaluer correctement la qualité de notre jeu est une compétence fondamentale pour qui souhaite devenir un excellent joueur.
- Les informations et remarques sur nos leaks mentaux. Il arrive souvent au poker qu'on s'agace et commence à tilter sans vraiment savoir pourquoi. En notant notre ressenti sur ces émotions négatives durant notre cooldown, on pourra plus tard essayer d'identifier ce qui provoque et déclenche ces tilts.
- Les autres objectifs qualitatifs. Bien que nos objectifs principaux seront souvent juste de gagner de l'argent, vous devriez régulièrement vous fixez des objectifs qui ne soient pas uniquement accès sur le résultat financier ou vos classements dans les prize pools afin de progresser régulièrement. On peut travailler une quantité de choses durant nos sessions et les cooldowns nous permettent d'évaluer si on a atteint nos objectifs techniques ou mentaux. Si vous venez d'appliquer un changement récent dans votre jeu, que ce soit un nouveau move, un changement de range ou une nouvelle technique mentale, il est intéressant d'en noter les effets constatés, de cette façon vous pourrez mieux juger par la suite de l'impact de ces changements.
Le pouvoir de la répétition
Si faire un cooldown peut sembler magique au vu des bénéfices qu'on peut en retirer, il ne sera pas exempt de défauts si vous ne le pratiquez pas régulièrement. Si on se contente de faire des cooldowns de façon occasionnelle, ils vont perdre une grande part de leur efficacité due à la "rigidité" de notre inconscient. En effet, comme nous l'avons mentionné dans la partie précédente, notre inconscient repose en grande partie sur notre ego, lui-même forgé à partir de notre éducation parentale, sociale, culturelle et religieuse. Il ne s'agit donc pas d'une construction qu'on va pouvoir bousculer d'un seul claquement de doigt et si on peut perturber tout ça ponctuellement avec les cooldowns, cela ne pourra créer des effets permanents que sur la durée. Il est donc capital de réaliser nos cooldowns après chaque session au lieu de ne les faire qu'au gré de nos envies, la répétition étant la seule garante du succès à long terme de cette entreprise.
Bien que le processus de répétition puisse parfois sembler décourageant parce qu'on ne pourra en voir les effets qu'au bout d'une durée variable et dépendante de la nature du problème et des individus, soyez assuré que les cooldowns porteront toujours leurs fruits.
N'oubliez pas que nous sommes des joueurs qui avons pour habitude de toujours raisonner sur le long terme. Les cooldowns ne font pas exception à la règle et ils doivent juste être appréhendés de la même façon pour pouvoir en tirer un profit maximum.
Vers l'infini et au delà
Si vous faites vos cooldowns correctement et régulièrement, vous devriez rapidement arriver à corriger la perception de votre propre chance et vous détacher davantage de vos résultats. A un moment donné, vous devriez atteindre un stade où il vous sera devenu très facile d'évaluer votre chance de façon objective. Quand ce procédé ne rencontre plus d'incohérence entre l'évaluation de votre cooldown et celle que vous réalisez à froid, il sera alors raisonnable de penser que vous avez maintenant acquis cette compétence inconsciente qui vous faisait défaut.
Une fois atteint cette étape, devrions-nous maintenant arrêter de faire nos cooldowns ? Probablement pas. S'il s'agissait de notre tout premier chantier sur le travail mental, il y a fort à parier que nous avons encore un grand nombre de leaks mentaux et on aurait tout intérêt à se concentrer dorénavant sur un autre problème. Pour gagner du temps dans notre cooldown on peut maintenant supprimer dans notre tableau le champ sur la variance et le remplacer par un autre.
Néanmoins soyez vigilant à la résurgence possible d'un problème qu'on croyait définitivement résolu. Dans notre exemple, si l'envie de whine repointe le bout de son nez, il est fort possible que l'évaluation de notre chance soit toujours très imparfaite. Si ce cas de figure se produit, il sera alors impératif de réintégrer ça dans nos cooldowns dans les plus brefs délais.
N'oubliez pas que les cooldowns offrent des possibilités quasi infinies pour l'accomplissement de nos objectifs, la correction de nos leaks mentaux et l'amélioration de notre jeu. Malheureusement, utiliser des cooldowns seuls et sans les confronter à une autre forme d'analyse et/ou de technique mentale ne sera souvent pas optimale. C'est pourquoi un joueur qui fait un vrai travail mental va également pratiquer un échauffement, faire des injections de logique, des HH mentales et de nombreux autres travaux d'introspection et d'amélioration mais ça... C'est une autre histoire !
Article écrit par Flibustier