- 06 février 2013
- petiteglise
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Il ne suffit pas d’être un bon joueur de poker, il faut aussi bien jouer. Nouvel épisode. Comment arriver à « être dedans » dès le début de session ? Que faire pour ne pas se laisser perturber par un bad-beat ? Ecouter de la musique en jouant au poker peut-il être bénéfique ? Peut-on s’autoriser à consulter Facebook quand on joue ? Est-ce que le tabac favorise réellement la concentration ?
Article 1 : A-game au poker
Article 2 : Motivation au poker
Concentration au poker
En guise d’introduction, je vous invite à effectuer un petit test fort sympathique d’à peine plus d’une minute. Les résultats se trouvent à la fin de la vidéo.
Cette courte vidéo illustre de manière amusante l’effet des distracteurs sur l’attention.
La concentration peut être vue comme un gâteau de ressources : si l’on en attribue une grosse part à une tache, il restera forcément moins de ressources disponibles pour d’autres activités, qui seront alors bâclées. Cette théorie primaire a été depuis améliorée, par l’inclusion de la précision suivante : quand on effectue deux tâches en même temps, il peut y avoir une partie commune et une partie différente de l’attention partagée. C’est pourquoi il est extrêmement difficile d’effectuer en même temps une division et une multiplication (taches proches demandant le même type de ressources) alors qu’il n’est pas si compliqué de chanter tout en dansant (taches qui demandent deux types de ressources).
Cette théorie, qui est admise par beaucoup de psychologues, me semble pourtant incomplète, car elle ne prend pas en compte l’ennui comme facteur de distraction. Quand on se concentre exclusivement sur une seule tache, on peut vite s’ennuyer, et donc se déconcentrer. Alors qu’un élément considéré comme distracteur peut tuer l’ennui et nous permettre indirectement de nous reconcentrer sur la tache initiale.
Mais trêve de théorie abstraite et généraliste, passons à la pratique et au poker !
Le contexte psychologique
Globalement, un joueur de poker aura toujours des plus mauvais résultats en début de session. Il y a des explications purement pokeristiques à cela : le nouvel entrant à la table n’a pas connaissance du rythme de jeu et n’a pas ou peu d’informations sur les autres joueurs. Mais un autre facteur à ne pas négliger, est que, en début de session, le joueur peut ne pas encore avoir la tête au poker.
Imaginons que vous soyez un joueur occasionnel / semi-reg qui multitable habituellement 6 tables. Vous rentrez du boulot et voulez jouer au poker. Si le temps d’attendre la grosse blind vous suffit pour faire fi de votre journée de taf et vous immerger dans le poker, alors vous pouvez lancer les 6 tables dès le début. Mais, si vous remarquez que, trop souvent, vous-vous dites en début de session « je ne suis pas dedans », alors voici des conseils concrets :
Avant chaque session, vous pourriez effectuer un quizz de poker, vous pourriez également commencer par lancer une seule table, puis augmenter progressivement leur nombre jusqu’à 6, ou encore, débuter par une analyse des mains de la session précédente avec votre tracker. Ces simples petites habitudes à prendre, destinées à vous faire jouer uniquement lorsque votre cerveau est bel et bien « en mode poker » peuvent vous faire économiser nombre d’euros en début de session.
Notons que le titre de contexte psychologique n’a pas été choisi au hasard : la capacité à se plonger dans une activité, le poker en l’occurrence, dépend plus du contexte que de la personnalité du joueur.
Si vous êtes en tilt dans la vie, suite à une rupture par exemple, penser à autre chose vous sera probablement impossible. Dans ces cas extrêmes où une pensée est omniprésente, il est peu probable que vous jouiez votre A-game.
Bien gérer les bad-beats
Plus un joueur est expérimenté et plus il multitable, mieux il gère les bad-beats. Mais seul un ordinateur est véritablement insensible aux coups du sort. Si après un (ou plusieurs…) bad-beat, vous n’arrivez pas à vous dire « j’ai bien joué, rien à me reprocher, passons à la suite » alors il est nécessaire de faire le deuil de ce coup au plus vite.
Pour cela, vous pouvez rejouer le coup grâce au replayer de votre room, jusqu'à ce vous vous disiez "ok, pas eu de chance, n'y pensons plus". Ces 20 secondes de perdues vous éviteront peut-être de ressasser le coup et donc de jouer déconcentré durant les 20 minutes suivantes.
Si un coup vous est particulièrement douloureux, laissez sortir des insultes peut vous être profitable. Attention, je ne parle aucunement de trash-talking sur le chat ! Cette pratique infantile est à mon sens condamnable et aura surtout pour effet de vous faire étiqueter fish par les autres joueurs. Mais des études ont montré que nous résistons mieux à la douleur lorsque nous vociférons des injures. Par exemple, vous pourrez garder plus longtemps la main dans de l’eau glaciale si vous balancez des gros mots que si vous restez silencieux. C’est pourquoi il est naturel d’être vulgaire quand on se fait mal. Appliqué au poker, il est peut donc être conseillé de ne pas censurer son envie d’insulter l’adversaire lors d’un bad-beat, en tous cas de le faire derrière l’écran. (et non sur le chat !)
La musique
Toutes les études semblent le montrer : l’écoute de musique altère l’attention. Quand on fait passer un test cognitif à deux groupes de sujets, l’un subissant de la musique l’autre non, le groupe avec musique aura de moins bons résultats. De plus, les musiques modernes type électro distraient plus que la musique classique (qui distrait tout de même, contrairement à une légende urbaine qui a beaucoup circulé).
Ces constats, en accord avec la théorie des ressources disponibles, mentionnée plus haut, semblent assez intuitifs. Doit-on en conclure qu’il faille bannir l’écoute de musique quand on joue au poker ?
Avant de répondre, permettez-moi une petite digression : vous êtes au volant, radio allumée, et vous devez effectuer une manœuvre difficile. Il y a de bonnes chances pour que vous baissiez le volume, peut-être même sans vous en rendre compte : votre cerveau a besoin de toutes les ressources disponibles et ne peut se permettre d’en octroyer à l’écoute de musique. Mais imaginez que vous n’écoutez pas du tout de musique pendant un long voyage, seul au volant. Vous allez rapidement vous ennuyer et vous déconcentrer…
L’écoute de musique a donc, selon le contexte, un effet soit positif soit négatif sur la concentration. L'effet sera toujours négatif quand il s'agit d'effectuer une courte tache demandant une concentration maximale (c'est le cas des tests que font passer les chercheurs) mais l'effet peut-être positif dès que la tache est longue et peut être source d'ennui.
Ainsi, si vous avez l’habitude de jouer au poker sans écouter de musique ni vous ennuyer, continuez ainsi. Si par contre le bruit des jetons et cartes virtuels est toujours recouvert par vos chansons préférées, et que vous ne pouvez vous en passer sans vous ennuyer rapidement, ne changez rien non plus, mais n'hésitez pas à baisser le volume voire à arrêter la musique lors des moments cruciaux.
Rappelons enfin, comme je l’avais écrit à la fin du précédent article, que la musique peut agir comme un porte-bonheur aidant à recréer les conditions de la victoire et être une source de motivation.
Tout bien pesé, l’écoute de musique peut optimiser vos résultats au poker.
Facebook, Youtube et Cie.
Le raisonnement est similaire à celui effectué pour la musique : dans l’idéal toutes nos ressources devraient être allouées au poker. Mais, si l’on a tendance à s’ennuyer, se distraire quelques instants peut nous remettre en alerte. Cependant, alors que musique et poker font appel à des ressources assez différentes, consulter facebook / regarder une vidéo et jouer au poker demandent des ressources similaires. L’effet distractif de facebook ou d’une vidéo sera donc plus important. Aussi, je ne saurais que vous conseiller de n’ouvrir facebook ou youtube que si vous devez tuer l’ennui l’espace d’un instant pour mieux vous concentrer ensuite. Faites votre petit tour sur facebook et quittez vite la page…
Le tabac
« Le tabac aide à la concentration. » Mythe ou réalité ?
Aucun fumeur sensé ne conseillera à un joueur non-fumeur « tu devrais te mettre à la clope, ça aide à se concentrer, tu joueras mieux ». Pourtant, tous les fumeurs disent de la cigarette «ça m’aide à me concentrer » Comment l’expliquer ? Sherlock Holmes a pour habitude de fumer un nombre de pipes proportionnel à la difficulté de l’enquête à résoudre, a-t-il raison ?
En fait, le manque de nicotine agit comme un distracteur. Quand nous voulons nous concentrer, nous essayons d’annihiler les distracteurs : « ta gueule, je me concentre ! ». Le fumeur est distrait par son manque de nicotine et fait cesser cette distraction en s’en grillant une.
C’est similaire à se gratter : si l’on ressent une démangeaison, on doit se gratter pour pouvoir se concentrer. Cela n’implique évidemment pas que se gratter favorise la concentration !
A ce processus de base, s’ajoute toutefois un phénomène de rationalisation du fumeur qui, ayant l’habitude de s’allumer une clope à chaque fois qu’il souhaite se concentrer, attribue des bénéfices inexistants au tabac. La cigarette agit alors comme un porte-bonheur : le fumeur recrée ses conditions de la concentration et effectivement, « ça marche ».
Sans cet effet, le fumeur ne pourrait au mieux que retrouver le niveau de concentration d’une personne ne souffrant pas du manque de nicotine, c’est-à-dire d’un non-fumeur. Mais grâce à cet effet « porte-bonheur », un fumeur peut véritablement atteindre un niveau de concentration supérieur à celui d’un non-fumeur. La routine de Sherlock est donc tout à fait ad hoc.
Cela est malheureusement compensé par les effets négatifs du tabac, dont la réduction de l’oxygénation du cerveau... Ainsi, si vous ne fumez pas, ne commencez pas ; si vous êtes un fumeur invétéré, fumez à chaque fois que vous en ressentez l’envie, ne laissez pas le manque de nicotine vous distraire.
L’alcool, dont la consommation entraîne une baisse de la concentration, est évidemment un sujet à traiter. Je le ferai lors du prochain et dernier article de cette série, consacré à la forme.