- 24 avril 2013
- petiteglise
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On ne peut pas savoir qui a raison entre les partisans de l'inné et ceux de l'acquis. En revanche, on peut prouver que les pro-innéité ont bien plus de mal à réussir. Découvrez pourquoi, à travers l'histoire de Stu Ungar et de génies d'autres disciplines.
Certains débats sont tellement passionnels qu'ils sont toujours vains.. Chaque camp reste sur ses positions, totalement imperméable aux arguments adverses. A la question « inné ou acquis ? », chacun s'est forgé une réponse qu'il lui tient à cœur, et la défendra mordicus. A la rigueur, après des heures de discussion énervée, il accordera que « y'a peut-être un peu d'acquis, mais l'inné est majoritaire ». Ou l'inverse.
Le but de cet article n'est donc pas tant de répondre à la question « inné ou acquis ? » mais de voir les différences entre les partisans de chaque camp. Avant cela, je vous propose de revoir les histoires personnelles de quelques génies.
Il n'y a pas de génie sans pratique délibérée.
« Joueur né » est le titre la remarquable biographie de celui qui est considéré comme le plus grand génie des cartes de tout les temps.
Mais Stu Ungar est-il vraiment né joueur, ou l'est-il devenu ?
Le père de Stu tenait un bar qui faisait office de salle de jeu. Ungar passa son enfance au milieu de joueurs. Rapidement, il aida son père à la compta. Depuis son plus jeune âge, Stu jouait aux cartes et comptait de l'argent. Son père mourut quand Stu avait 13 ans. Peu après, The Kid abandonna l'école, se liant d'amitié avec des joueurs. Il passa son adolescence à plumer des adultes au gin rami, jouant nuit et jour.
La suite est connue : il partit à Vegas, mais, massacrant tous ses adversaires, plus personne ne voulut l'affronter. Alors, Stu se mit au poker. Et il remporta directement les Main Event des WSOP, avant de récidiver l'année suivante. Puis une troisième fois, en 1997, un an avant sa mort.
Stu Ungar est, peut-être, le plus grand génie des cartes ayant existé. Il est aussi la personne qui, dès sa plus tendre enfance, s'est le plus entraînée.
Les partisans de l'acquis diront que, c'est parce qu'il était le joueur à s'être le plus entraîné qu'il est devenu le meilleur ; ceux de l'inné rétorqueront que c'est parce qu'il est né génie des cartes qu'il a pu y jouer nuit et jour sans se lasser.
"Est-il possible de fabriquer un génie ?" C'est la question que s'est posé un certain Lazlo Polgar. Un beau jour, Lazlo posta une annonce dans un journal « recherche femme pour avoir des enfants dans le but d'en faire des génies ». Une femme répondit, ils eurent trois filles.
Aux trois, papa Polgar apprit le jeu d'échecs, les entraînant de manière ultra-intensive. L'aînée devint rapidement la meilleure joueuse du monde, avant de se faire dépasser par la deuxième, laquelle laissera sa place à la cadette, Judit, qui est toujours la numéro 1 mondiale, depuis plus de 20 ans.
Du pain béni pour les défenseurs de l'acquis, qui expliquent la différence de niveau entre les aînées et la cadette par le fait que le père avait pu peaufiner ses méthodes d'entraînement.
Mais les défenseurs de l'innéité argueront que les sœurs ont un génome similaire et qu'elles sont toutes les trois nées championnes d'échecs.
D'autres parents décidèrent d'avoir des enfants champions et les entraînèrent dès leurs premiers pas, affichant leur ambition d'en faire les meilleurs au monde. Parmi eux, Earl Woods, père de Tiger et Richard Williams, père de Serena et Venus. Ces champions ont eu leur destin décidé par leurs parents, avant leur naissance.
Bien sûr, il ne faut pas oublier les milliers de parents qui ont obligé leurs enfants à s'entraîner dans tel ou tel domaine, sans avoir réussi à en faire des génies, ruinant parfois leur enfance pour un rêve jamais réalisé.
Les partisans de l'innéité considèrent que seuls ceux nés avec du talent ont réussi et que les autres n'avaient aucune chance ; les partisans de l'acquis pensent que les enfants n'ayant pas percé malgré un entraînement quotidien devaient mal s'entraîner.
Ces histoires de champions nous apprennent que la pratique délibérée est une condition nécessaire à la réussite. On ne peut pas savoir si elle est aussi une condition suffisante (faut-il en plus avoir des bons gènes?) mais elle est nécessaire (sans entraînement régulier, impossible de maîtriser un domaine).
Quand on demandait son secret à Michael Jordan, il répondait « je suis toujours le premier arrivé et le dernier parti à l'entraînement ».
Garry Kasparov disait qu'il n'était pas spécialement doué pour les échecs mais qu'il avait le talent le plus important : la capacité à faire 13h d'échecs par jour, 7 jours par semaine.
La pratique délibérée, est longue, répétitive, difficile.
Pourquoi certains arrivent à s'entraîner régulièrement alors que pour d'autres, c'est une corvée qu'ils ne s'infligent qu'après avoir pris des bonnes résolutions, ensuite rapidement oubliées ?
La croyance en l'innéité du génie : un frein au succès
Les partisans de l'innéité voient l'intelligence comme la taille adulte : déterminée à la naissance et on ne peut pas l'améliorer.
Les partisans de l'acquis voient l'intelligence comme un muscle, qui peut se développer avec de l'entraînement.
Nous l'avons vu plus haut, il est probablement impossible de savoir quel camp a raison.
En revanche, nous allons voir que ces croyances influent sur la capacité d'entraînement et sur les résultats.
Carol Dweck a été professeur de psychologie à Harvard et à Stanford, entre autres.
Elle a particulièrement étudié les différences entre les partisans de l'inné et ceux de l'acquis.
Ses conclusions sont sans appel : les pro-innéité se contentent d'exercices simples, fuient la difficulté et s'entraînent peu.
Les pro-acquis n'ont pas peur, ni de la difficulté ni de l'échec et s'entraînent plus.
Après un échec, les pro-innéité se disent en effet « je ne suis pas assez intelligent », alors que les pro-acquis se disent « je ne me suis pas assez entraîné ».
La douleur est bien plus insupportable dans le premier cas.
C'est pourquoi, face à un exercice difficile, les partisans de l'inné préfèrent fuir tandis que les partisans de l'acquis essayent, se disant que même s'il n'y arrivent pas, ils auront progressé, et, qu'avec suffisamment d'entraînement, ils finiront par réussir.
Carol Dweck a également montré qu'il était facile d'influencer ces croyances et du coup la capacité d'entraînement, en particulier chez les enfants.
Dans une étude, elle fit résoudre des exercices extrêmement simples à des enfants.
A un premier groupe, elle complimenta l'inné « c'est bien, tu es très intelligent » ; au deuxième groupe, elle complimenta l'acquis « c'est bien, tu as bien travaillé ».
Elle proposa ensuite des exercices bien plus difficiles.
Les enfants du premier groupe abandonnèrent très rapidement, ceux du deuxième groupe essayèrent plus longtemps et obtinrent un bien meilleur taux de succès.
Quand ensuite la chercheuse demanda aux enfants s'ils voulaient faire des exercices faciles ou difficiles, ceux qui avaient vu leur intelligence flattée choisirent la facilité, ceux qui avaient vu leur capacité de travail flattée préférèrent la difficulté et s'entraînèrent plus longtemps.
Et devinrent meilleurs.
Il est certain que ces différences se voient aussi au poker.
Ainsi, un joueur croyant à l'innéité aura bien plus de mal à analyser ses points faibles.
Il refusera par exemple de montrer ses pires coups à son coach. Et on le comprend, personne n'a envie de se dire « je suis fish, né fish et je le resterai ».
Celui qui croit à l'acquis se dira qu'il doit travailler pour corriger ses faiblesses, il aura moins de mal à se remettre en question, s'entraînera plus et progressera davantage.
Ainsi, si jamais vous voulez qu'un joueur arrête de s'entraîner, complimentez son talent naturel, c'est pervers, mais assez efficace.
Et si vous souhaitez que votre enfant devienne un pro du poker, félicitez-le pour sa capacité d'entraînement.
NB : il est évident que peu de gens considèrent que tout est acquis ou que tout est inné, d'autant que, nous l'avons vu, autrui peut influencer nos croyances. Mais cette vision manichéenne a le mérite de la simplicité et, j'espère, de la clarté.