- 21 juillet 2016
- petiteglise
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Le jeu d’échecs est souvent cité comme le plus compliqué des jeux, mais les connaisseurs savent que le go est bien plus riche. Où se situe le Holdem face à ses illustres ancêtres ?
La complexité des jeux de plateau
Pour mesurer la complexité du go et des échecs, on peut prendre en considération deux valeurs : le nombre de positions différentes possibles et le nombre de parties différentes possibles. Ces valeurs sont distinctes car plusieurs ordres de coups peuvent mener à une même position.
Echecs |
Go |
|
Nombre de positions |
10^50 |
10^170 |
Nombre de parties |
10^120 |
10^600 |
NB : l’estimation du nombre de parties d’échecs, trouvée par le mathématicien Claude Shannon, est vraie pour des parties de 40 coups, soit la durée moyenne d’une partie “raisonnable”. En théorie, les parties d’échecs peuvent être infinies. Et si l’on prend en compte la règle des 50 coups, une partie (totalement absurde) peut durer près de 6000 coups. Il y a donc bien plus de 10^6000 parties d’échecs “absurdes” possibles.
La complexité du Limit Holdem
Nous allons d’abord nous intéresser à la forme la plus simple du Holdem : le Limit HU. La complexité du poker dépend de nos cartes, de celles du board, est des décisions. Pas des cartes de notre adversaire, car elles nous sont inconnues.
Preflop |
1 326 |
Flop |
25 989 600 |
Turn |
1 221 511 200 |
River |
56 189 515 200 |
Preflop, il y a (2 parmi 52) soit 1 326 possibilités de cartes différentes.
On les multiplie par (3 parmi 50) pour les possibilités de cartes au flop.
Qu’on multiplie ensuite par 47 pour les possibilités de cartes à la turn.
Qu’on multiplie enfin par 46 pour les possibilités de cartes à la river.
Dénombrer les décisions est plus laborieux, mais relativement aisé en Limit. “-” représente la première décision de la street. “c” signifie soit call soit check et “r” soit bet soit raise.
Preflop, il y a 8 spots de décision possibles :
-, c, cr, crr, crrr, r, rr, rrr
Il y a 7 possibilités d’aller voir le flop :
cc, crc, crrc, crrrc, rc, rrc, rrrc
Au flop et à la turn, il y a 10 spots de décision possibles :
-, c, cr, crr, crrr, crrrr, r, rr, rrr, rrrr
Et il y a 9 possibilités d’aller voir la street suivante :
cc, crc, crrc, crrrc, crrrrc, rc, rrc, rrrc, rrrrc
Enfin à la river, il y a 10 spots de décision possibles, les mêmes qu’aux 2 tours précédents :
-, c, cr, crr, crrr, crrrr, r, rr, rrr, rrrr
Pour mesurer la complexité du Holdem Limit HU, il faut donc de calculer
(2 parmi 52) * 8
+ (2 parmi 52) (3 parmi 50) * 7 * 10
+ (2 parmi 52) (3 parmi 50) (1 parmi 47) * 7 * 9 * 10
+ (2 parmi 52) (3 parmi 50) (1 parmi 47) (1 parmi 46) * 7 * 9 * 9 * 10
= 319 365 922 522 608 soit environ 3*10^14
3*10^14 situations possibles pour le Limit HU.
La complexité du No Limit Holdem
Autant la complexité du Holdem Limit peut se calculer à la main, autant le No Limit nécessite des ordinateurs puissants… et des bons programmeurs. Marc Johanson, dans un article de 2013 intitulé Measuring the size of large no limit poker games, détaille la complexité du no limit HU pour divers stacks.
En No Limit 1$-2$, avec un stack de 400$, il y a environ 10^48 situations possibles.
En No Limit 50$-100$ avec un stack de 20 000$, il y a environ 10^161 situations possibles.
NB : il s’agit de 200 blinds à chaque fois, mais le deuxième offre bien plus de possibilités de mises, si on considère que les plus petits jetons sont dans les deux cas de 1$.
Le No Limit HU a donc une complexité proche de celle du jeu d’échecs, certes encore loin de celle du go.
Cela dit, chaque joueur supplémentaire accroît de le nombre de situations de manière exponentielle. En outre, le poker n’est pas que le Holdem en CG et on pourrait considérer qu’il faille multiplier par le nombre de grandes variantes et de format.
Tout compte fait, le poker offre bien plus de situations possibles que les historiques go et jeu d’échecs.
Complexité théorique vs complexité réelle
Comme nous l’avons vu, le poker est le plus riche des jeux, d’un point de vue théorique. L’est-il pour autant en pratique ?
Tout d’abord, il y a les innombrables situations équivalentes : par exemple sur un board AAAKK, est-il pertinent de considérer des mains comme 56s et 78o différentes ? Ensuite, les joueurs jouent un range de mains. En Limit, HU, préflop il y a 1326*8=10608 spots théoriques différents. En pratique, il suffit de connaître quelques ranges : de call, de raise, de 3-bet…
Le poker est donc bien moins riche en pratique qu’en théorie.
Quoiqu’il en soit, si tous ces jeux sont mathématiquement finis, on peut les considérer comme infinis pour l’esprit humain. La vraie limite de la richesse de ces jeux ne réside pas dans leur complexité, mais dans notre cerveau. Pour l’instant, l’avantage est aux joueurs d’échecs et de go.
Il a été évalué qu’un grand maître d’échecs "lambda", comme Jennyfer Shahade ci contre, récente 204ème du ME des WSOP pour +42k, a en mémoire plusieurs dizaines milliers de patterns, qu’il s’agisse de coups d’ouvertures ou de situations typiques. Un Kasparov à son top en aurait eu quelques centaines de milliers. Le travail que ça représente : environ 12h d’échecs par jour de sa tendre enfance à ses 40 ans. Aucun joueur de poker ne s’est autant entraîné, surtout si l’on considère que l’entraînement effectué jeune prime. Il semble donc que les échecs de haut niveau soient plus riches que le poker de haut niveau. Mais cela peut ne pas durer très longtemps. Il suffit de voir l’évolution du poker sur une décennie : chaque année plus difficile, compliqué, riche.