La bankroll fait-elle le bonheur ?

La bankroll fait-elle le bonheur ?

Compartimentation budgétaire, tapis roulant hédonique, comparaison sociale... venez découvrir plusieurs concepts de psychologie pour comprendre les liens entre bonheur et bankroll.

La bankroll, un compte à part.

Rationnellement la provenance de l’argent ne devrait pas influencer ce que l’on fait avec : une fois sur le compte, 2000€ c’est 2000€, peu importe comment ils sont arrivés là. Mais nous fonctionnons par compartimentation budgétaire, avec plusieurs comptes mentalement séparés au lieu d'un seul compte général et nous considérons en particulier l’argent de notre bankroll différemment du reste.

Prenons le cas d’un salarié à 2000€ mensuels, qui se met au poker. Après un an à grinder patiemment, il obtient 2000 de BR et cash-out. Sauf problème financier, il dépensera probablement ces 2000, ou au moins une partie, autrement qu’un mois de salaire habituel : cours de poker, voyage, mais pas loyer et factures.
Ou si ce même joueur remporte 2000 en un MTT, il pourrait avoir envie d’en spew pas mal, en fête, resto ou cadeaux par exemple.
A ses débuts au poker, sur les plus basses limites, un tel amateur pourrait s’énerver pour des pots de 1€ alors que IRL, il ne s’exciterait jamais pour 1€.

Ainsi, l’argent de notre bankroll est souvent perçu différemment de l’argent gagné autrement, même si ce n’est pas rationnel.

Les variations de bankroll comptent plus que la bankroll.

Est-ce qu’une bankroll de 1000€ rend heureux ou pas ? La réponse est évidemment “ça dépend”. Ca dépend de beaucoup de chose, et avant tout des variations de bankroll pour obtenir ces 1000€. Si vous venez de faire votre 1er dépôt à 50€ et qu’une semaine après vous êtes à 1k, il y a de bonnes chances que vous en soyez content. Si en revanche vous aviez 10k€ il y a quelques jours et que vous venez d’en perdre 9k, les 1000€ restant ne vous paraissent sûrement pas très réjouissant.

De manière générale, lorsque l’on parle de bonheur il faut considérer les variations de bankroll en pourcentage et non en valeur absolue. Toute chose égale par ailleurs, on peut considérer que gagner x% de sa bankroll entraîne une variation de bonheur équivalente indépendemment du montant de la bankroll.
Ainsi gagner 100€ quand on en a 1000€ est comparable à gagner 1000€ quand on en a 10 000, et pas 100€ quand on en a 10 000.

Le tapis roulant hédonique et la bankroll.

Le tapis roulant hédonique (the hedonic treadmill) décrit le phénomène d’adaptation hédonique que l’on peut expliquer par l’exemple du vin.
Pour simplifier, postulons que plus un vin est cher, meilleur il est. Considérons un jeune adulte qui boit régulièrement du vin à 5€ la bouteille. Quand il en boit, il éprouve un peu de plaisir, disons de 6 sur échelle allant jusqu’à 10. Quand il boit une bouteille à 10€ il éprouve un plaisir de 7/10, pour une bouteille à 20€ un plaisir de 8/10 etc…
S’il se met à boire régulièrement du vin à 10€, ses critères vont se déplacer avec lui (d’où la métaphore du tapis roulant) : le vin à 10€ ne lui donnera plus qu’un plaisir de 6/10, il sera déçu par son précédent standard et pour avoir un plaisir de 8/10 il ne devra plus dépenser 20€ mais 40…

Ce phénomène se constate pour énormément de plaisirs : notre norme est toujours perçue comme à peu près moyenne et quand on change de norme, on change notre perception.

Revenons au poker et prenons un joueur de NL50. Il se dit en gros, “c’est sympa la NL50, mais quand j’aurais le niveau NL100, là ça sera bien”. Il progresse et devient reg de NL100. Au début il est content et fier, mais il s’habitue rapidement et se dit, “c’est sympa la NL100, mais quand j’aurais le niveau NL200, là ça sera bien”… et ça peut recommencer encore et encore.

La comparaison sociale et la bankroll

Un des facteurs, ou plutôt des freins au bonheur, est la comparaison sociale. Avec un million d’euros sur son compte, on peut se prendre pour un roi bienheureux si l’on vit dans un village, ou se trouver misérable si l’on vit à Monaco ou Avenue Montaigne…

A pouvoir d’achat égal, la majorité des gens préfère gagner 70 000$ / an dans un pays où le salaire moyen est de 50 000, que de gagner 80 000$ / an si le salaire moyen est de 100 000…

Au poker, être joueur de NL 100 sera vécu différemment selon que nos amis sont tous fishs et que l’on est le génie de la bande ou tous joueurs de NL 400+ et que l’on est le jambon de la bande…

Limites de l’argent sur le bonheur

De nombreuses études ont été réalisées sur la relation entre argent et bonheur. Selon les méthodes d’évaluation du bonheur et de la richesse, selon que l’on regarde à un temps t ou l’évolution, que l’on analyse des pays entiers ou des individus, les résultats différent un peu mais un consensus semble se dégager : La pauvreté rend malheureux, et globalement plus on est riche plus l’on est heureux, mais à partir d’un certain seuil, plus d’argent n’équivaut pas à plus de bonheur.

Parmi toutes ces études, la plus fréquemment citée est celle réalisée par Kahneman, prix Nobel d’économie 2002 et Keaton, prix Nobel d’économie 2015, où ils ont montré qu’aux USA, le seuil à partir duquel un dollar de revenu supplémentaire ne se traduisait plus par un accroissement du bonheur était de 75 000$ par an.

La raison est assez claire : il existe bien d’autres facteurs au bonheur : santé, sécurité, sexe, amour, amitié, famille, etc. Une fois un revenu minimum de stabilité financière atteint, il vaut mieux consacrer son énergie à ces autres aspects de la vie qu’à vouloir encore gagner plus.

C’est sûrement vrai au poker aussi. Un pro qui se galère à payer son loyer et remplir le frigo aura les yeux rivés sur sa bankroll et clairement, plus il gagnera, plus il sera heureux. Mais passé un certain stade, il vaut sûrement mieux, en terme de bonheur, se fixer des autres objectifs que de gagner le plus possible : affronter le top mondial pour le kiff, choisir des destinations sympas, s’amuser avec des nouvelles variantes, se lancer des défis, etc…

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