- 27 avril 2016
- petiteglise
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Créé au XIXème siècle aux Etats-Unis, le poker est souvent cité comme une métaphore du système économique alors en plein essor : le capitalisme. Est-il antinomique de jouer au poker et ne pas défendre le système économique dominant ?
Nous allons analyser les nombreux points communs et aussi quelques différences, entre notre jeu et le système économique dans lequel nous vivons tous.
Des joueurs égoïstes, rationnels, égaux et soumis aux mêmes règles.
Aux fondamentaux du capitalisme se trouve le postulat de la main invisible décrite par Adam Smith : chacun recherche son propre intérêt et agit pour le maximiser, et c’est ainsi que la société dans son ensemble tendra vers plus de richesse et de bonheur. Ainsi, pour le capitalisme, l’homme est un agent égoïste et rationnel. On peut contester ces deux points, en citant d’autres motivations que l’égoïsme, comme l’altruisme, la beauté, ou l’amour, et en donnant des exemples de comportements irrationnels. Mais on est obligés de constater que le poker partage cette même idée de base. On n’imagine pas jouer au poker avec quelqu’un qui dirait “moi je recherche pas le gain, je veux avant tout faire plaisir à ceux assis à ma table”.
Poker et capitalisme ont également en commun l’idée d’agents/joueurs égaux et soumis aux mêmes règles, du moins en théorie.
Concentration des richesses.
Les riches tendent à être de plus en plus riches. Au début de l’année, deux stats ont fait la une de tous les médias : les 1% les plus riches possèdent plus que les 99% les plus pauvres. Et 62 personnes possèdent plus que la moitié de l’humanité, soit quelque 3,5 milliards d’individus. Et la tendance va vers toujours plus d’inégalités.
Même sans donner de chiffres exacts, nous savons tous qu’il en va de même au poker, que ce soit s’agissant des bankrolls, ou des tapis durant un tournoi. Il est plus facile de gagner de l’argent en faisant des bons investissements quand on est déjà riche, et il est plus aisé de gagner des jetons quand on en a déjà beaucoup, tel le chipleader qui marche sur la table en tournoi.
La théorie des jeux
C’est un des corollaires de l’agent rationnel et égoïste vu plus haut : la théorie des jeux s’applique aux deux domaines. D’ailleurs, le père fondateur de la théorie des jeux John Nash a reçu le prix Nobel d’économie pour la découverte de l’équilibre qui porte son nom et qui est la base du jeu GTO. Pour expliquer le jeu GTO, on donne souvent un exemple d’économie concurrentielle : pourquoi les concurrents sont souvent proches l’un de l’autre ? Si vous vous êtes déjà dits en voyant un Mac Do à côté d’un KFC à côté d’un Quick, qu’ils auraient mieux fait de se mettre d’accord et se répartir mieux le quartier, vous avez raison. Mais alors pour le font-ils ? C’est la faute à Nash, et ça permet de comprendre le jeu GTO.
Pour simplifier on prend deux vendeurs de glace sur une plage. S’ils sont malins et surtout coopératifs, ils se placeraient comme sur le dessin ci contre qui représente ce que l’on appelle l’optimum de Pareto : on ne peut améliorer le bien être d’un individu sans détériorer celui de l’autre.
Mais cela serait oublier qu’ils sont des agents égoïstes : l’un d’eux essaierait vite de se rapprocher du milieu, pour maximiser son profit, au détriment de l’autre. Le lésé chercherait alors à se venger.
Au bout du compte, les deux finiraient pile au milieu de la plage. La situation est pire que celle précédente (les clients en bout de plage doivent maintenant marcher deux fois plus et risquent d’être rebutés) mais elle a un avantage : elle présente un équilibre de Nash : si quelqu’un change sa position, il se nuirait à lui même.
Au poker, la relation est similaire entre notre pourcentage de bluff et le pourcentage de call de vilain : si vilain ne paie pas assez, on peut l’exploiter en bluffant plus, mais si on bluffe trop, il peut nous exploiter en payant plus. Une fois les deux à l’équilibre, personne ne peut changer sans se nuire.
L’importance de l’image
Au poker, l’image dégagée à la table est l’équivalent des relations publiques dans le monde capitaliste : pour gagner la confiance des investisseurs et ainsi leur prendre de l’argent, le plus important n’est pas tant ce que vous valez, mais comment vous êtes perçu.
Impôts, bouclier et paradis fiscaux.
Tout le monde paie des impôts, les joueurs de poker paient le rake. Les plus riches, entreprises ou particuliers, bénéficient souvent de remises fiscales, les meilleurs joueurs touchent du rakeback, sous une forme ou une autre. Pour les plus riches, la tentation est grande de s’exiler dans un paradis fiscal, à l’instar des meilleurs joueurs qui partent à Londres, Malte, ou ailleurs.
Les divergences : croissance et création monétaire.
La première des différences fondamentales entre le monde capitaliste et le poker est la croissance. Un investisseur n’aurait aucun intérêt à parier son argent dans un monde sans croissance. Investir, c’est faire le pari que, demain, l’entreprise pourra produire et vendre plus. Supprimez la promesse de croissance, et vous supprimerez les investissements.
Au poker, le principe de croissance est simplement absent. Je ne parle pas du marché du poker, mais du poker en lui-même : quand on s’assoit à une table, on n'espère pas qu’il y aura plus de jetons au total à la fin qu’au début. On espère juste que la répartition finale nous soit favorable.
La deuxième divergence est la création monétaire, primordiale dans tout système capitaliste.
Imaginons que je sois banquier et vous un architecte/maçon qui possédez un million d’euros en liquide. Vous les déposez chez moi. J’ai donc un million dans ma banque. Un client voudrait se faire construire une maison pour un million, mais il ne les a pas. Je lui prête le million. Il vous paie. Vous avez à nouveau un million en liquide. Vous les déposez encore chez moi. Dans ma banque, il n’y a qu’un million en liquide, mais sur votre compte, vous possédez 2 millions. Si vous dites maintenant à votre client que, pas de chance, la maison lui coûtera encore un million supplémentaire, je lui fais un nouvel emprunt, il vous paie, vous déposez. Il y aura toujours un million en liquidités dans ma banque, mais 3 sur votre compte (et évidemment en prime je touche le taux d’intérêt du client) Mais tout va bien, car je fais le pari que vous, et mes autres clients, n’allez pas essayer de retirer tout votre argent au même moment.
Au poker, c’est en théorie évidemment impossible, en tous cas sur une partie ou un tournoi, même si certains scandales ont pu laisser penser que certaines rooms s’étaient adonnées à la création monétaire…
La question à Mike d’Inca au RMC Poker Show.
Coïncidence, en recherchant pour cet article, je suis tombé sur cet extrait du dernier RMC poker show, avec Mike d’Inca en invité. Vous savez, le leader de Sinsemilia, ceux qui chantent “on vous souhaite tout le bonheur du monde…”, bref quelqu’un qu’on ne peut taxer d’être capitaliste et à qui on a posé la question de savoir si son amour du poker n’était pas contradictoire avec ses valeurs. Il a répondu en substance, que le poker était un jeu intéressant au delà du rapport à l’argent. Voir le débat Peut-on être de gauche et aimer le poker ?